Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arceaux, fournissait les vieux vins ; la basse-cour, les volailles ; le jardin, les fruits. Rien ne sentait la gêne ni l’épargne : la maison inépuisable versait à profusion son trop-plein aux invités. Il semble qu’aujourd’hui encore ces vieilles demeures respirent un parfum de bien-être solide et de comfortable vrai, que vous ne connaissez plus, ô Parisiens !

C’est là, sous le vieux toit héréditaire, que vivait le bon bourgeois, tranquillement, heureusement, avec sa femme, ses enfans et ses domestiques, qui étaient aussi de la maison. O les bonnes et sympathiques figures que celles des valets de Molière ! Et pourquoi ces braves gens n’ont-ils pas laissé d’héritiers ? Nés dans la famille, ils ont élevé le père et élèveront aussi les enfans. Fiers de leurs longs services, ils ont leur franc parler auprès du maître, qui vingt fois par jour les donne au diable et ne peut s’empêcher de les aimer. Ils se mêlent de tout, contrôlent tout, donnent leur avis sur tout, dévoués et mécontens, fidèles et querelleurs, parfaitement honnêtes et parfaitement insupportables.

Dorine, dans Tartufe, est le lutin, le démon familier du logis d’Orgon ; c’est elle qui devine l’amour de l’hypocrite pour Elmire, elle qui défend à Marianne de l’épouser, elle qui chante pouille à cet imbécile d’Orgon quand il parle de sacrifier la pauvrette à ce monstre. — Non, elle ne lui laissera pas faire cette sottise : son honneur lui est trop cher. Tartufe n’aura pas Marianne, elle refuse son consentement.

DORINE.
C’est une conscience
Que de nous laisser faire une telle alliance.
ORGON.
Te tairas-tu, serpent, dont les traits effrontés…
DORINE…….
Quoi ! vous êtes dévot, et vous vous emportez !

Nicole est la vivante copie de Dorine pour le bon sens, les coups de langue et l’impertinence. Elle prend hardiment le parti de Mme Jourdain et proteste avec elle contre les excentricités du pauvre bourgeois. Elle maudit cet attirail de gens qu’il reçoit et qui vont chercher de la boue dans tous les quartiers pour l’apporter au logis. Elle en veut au maître de danse, au maître de musique, au maître de philosophie qu’il a pris pour renfort de potage, et surtout à ce grand escogriffe de maître d’armes qui remplit de poudre tout son ménage.

Toinette, dans la maison d’Argan, se moque de la maladie de son maître, s’habille en médecin pour le guérir de sa monomanie, et soutient la fille du malade imaginaire contre les intrigues de sa belle-mère.

Voici une grosse joufflue de paysanne qui sort de son village, et que sa mauvaise étoile a fait tomber chez des femmes savantes. Il lui faut supporter les hauteurs de Philaminte et essuyer les leçons de français de Bélise ; mais la brave fille prend patience parce qu’elle a pitié de la pauvre