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Demain Léonidas sera battu, mais que lui importe ? Il a volé le père, il a humilié le fils, il a joui de l’heure présente, le seul bien de l’esclave. Aux hommes libres le souci du lendemain !

La comédie italienne emprunta à celle de Plaute ces types de coquins effrontés, et Molière, dans ses premières pièces, copia la comédie italienne. De là les Mascarille, les Scapin, les Gros-René, gens de sac et de corde, terreur des pères de famille, providence des mauvais sujets.

Il en est de certaines figures dramatiques comme de ces mots qui survivent aux choses qu’ils expriment. Un caractère a passé avec les mœurs dont il était la représentation fidèle : il est mort pour la société, mais ne croyez pas qu’il le soit pour le théâtre. D’abord les auteurs trouvent plus commode de travailler d’après leurs devanciers que d’après la nature ; ensuite le public connaît ce personnage, il s’est familiarisé avec lui comme avec le décor et, le mobilier de la salle. Ce personnage se maintiendra sur la scène contre toute raison et toute vraisemblance ; il y régnera, il y sera applaudi, jusqu’à ce qu’il en soit chassé par un autre type plus vivant, qui à son tour passera et tombera de la vérité dans la convention.

Molière donc représenta d’abord des Mascarilles, parce qu’il les trouva en possession de faire rire le parterre ; mais, quand il se résolut à fermer les anciens et à ne plus lire que dans le livre du monde, il s’aperçut que ces originaux n’étaient que des créations artificielles, et que les valets, comme les maîtres, s’étaient transformés.

Autant la vie bourgeoise est devenue fastueuse, autant elle était simple au XVIIe siècle. Où sont-elles aujourd’hui, ces grandes maisons massives où s’étalait modestement l’aisance de nos pères ? N’en cherchez plus à Paris : l’expropriation a fait tomber sur elles le marteau niveleur. J’en ai vu dans mes courses en province, et les ai saluées comme des vestiges vénérables de l’antique simplicité. Certes cela est lourd, sévère et froid comme une matrone revêche ; cela pèche contre toutes les lois de l’art et de la symétrie : des escaliers incorrects, des chambres incohérentes, des alcôves et des cabinets à surprise. Chaque génération a modifié le plan primitif, ajoutant cette aile, coupant cette pièce, ouvrant cette fenêtre, élevant cet étage ; mais aussi que d’espace, que d’air, que de lumière sous ces hauts plafonds ! que de place sous le manteau de ces vastes cheminées ! que d’argenterie, que de linge dans ces innombrables armoires ! que d’étain reluisant dans cette vieille cuisine ! quel luxe de vaisselle sur.ces grands dressoirs ! Comme on sent que tout est disposé là dedans pour la vie intérieure ! Ces vieux meubles eux-mêmes semblent vous regarder d’un air de bonhomie et vous dire : Nous aussi, nous sommes de la maison. Le salon est mesquin et sans goût, il est vrai ; mais qu’importe, si la salle à manger est vaste ? C’est là, autour de la grande table de chêne, qu’on fêtait avec ses amis les grands événemens de la famille, la noce d’une fille, la naissance ou le retour d’un enfant. N’est-ce pas que c’était une bonne vie ? La cave, comble jusqu’aux