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assez !) On me dit que la société subsistera encore, et moi je désire que subsiste aussi ma déclaration, qu’une fois sorti des mains de la société, le chemin de fer n’y retournera plus !… (Cris et sifflets. Assez ! assez !) J’ai cru devoir dire ceci, et je l’ai dit malgré les signes de désapprobation dont j’ai été honoré. »

Pasini, disais-je, était dans toute cette affaire au premier rang. Son frère, Ludovico Pasini, était, lui aussi, un des directeurs du chemin de fer pour Venise. Devenu depuis quelques années l’ami de Manin, Valentino Pasini combinait avec lui toutes les démarches et avec lui portait tout le poids des discussions ; il s’y montrait serré de raisonnement, habile à tourner toutes les difficultés, plein de dextérité et d’entrain. Il fut un instant envoyé à Vienne pour les affaires de la société, et il apprenait pour la première fois ce qu’est une négociation avec un gouvernement soupçonneux et lent, qui ne se décide jamais. Son esprit sagace s’égayait dans des observations qu’il déposait dans des pages intimes. « Faute d’autre chose, dit-il, j’ai appris ici que la trinité n’est pas absolument inexplicable, Je crois qu’ici l’empereur, l’archiduc Louis, l’archiduc François-Charles, Metternich et Kollowrath sont cinq personnes et un seul empereur ; mais, comme ils ne participent pas de la nature divine, ils ne s’unifient que lentement… les attributs de cette quinquiade sont premièrement la lenteur qu’ils appellent maturité ; ceci est un attribut qui les rapproche de la Divinité, car il touche à l’infini… La lenteur est ici une chose commune à tous les êtres. La vapeur elle-même se ressent du génie du pays, et vous la voyez mettre une heure pour faire huit milles ! .. » La vie oisive, facile et amusée de Vienne lui paraît tout à fait propre à un peuple « qui ne connaît pas la liberté. » Il va faire une visite à la garde-noble italienne, et cela ne lui donne que l’idée triste « de l’abjection morale » de son pays. Valentino Pasini n’obtint pas grand’chose ; mais il revint de Vienne, si je ne me trompe, avec un sentiment national plus précis, mieux affermi, avec un peu moins de considération pour la domination impériale. Lui aussi, sans se laisser emporter, il sentait déjà au visage les premiers souffles de là tempête qui approchait. Il ne restait pas moins fidèle à ses habitudes d’action légale en étant de ceux qui, selon son expression, « voient au-delà du moment présent et de l’apparence. »

La révolution de 1848 ne le surprit peut-être pas beaucoup. Tout y préparait, quoique tout fût imprévu et qu’on ne pût deviner d’où viendrait le signal. La révolution trouva Valentino Pasini à Vicence ; où il était naturellement un de ces représentans de l’opinion qui ne tiennent de personne un caractère officiel, mais que tout le monde reconnaît dans les jours de crise. Le 22 mars 1848, Daniel Manin