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origines mêmes du christianisme. Ce qu’il fallait repousser comme idolâtrie, c’est l’idée de la transsubstantiation de la matière ou de l’accident[1] revêtu par Dieu ; mais il nous faut croire à la transsubstantiation de la Divinité et nous incliner devant ce magnifique mystère : le pain et le vin restent pain et vin, et pourtant ils sont Dieu lui-même ; leur matière demeure identique, leur substance est transformée. Telle est la doctrine apostolique et vraiment historique du sacrifice de l’eucharistie. »

Cette solennelle condamnation de la réforme par un professeur d’Oxford en présence des collèges réunis causa dans l’assemblée un profond étonnement ; puis, comme les membres de l’université se taisaient, on vit dans ce silence une approbation tacite des doctrines du prédicateur. Les murmures se firent entendre, et bientôt un véritable tumulte éclata dans la maison de Dieu. Ne pouvant imposer le silence, M. Pusey fut obligé de s’interrompre et de descendre de la chaire. Le lendemain, l’analyse de ce hardi sermon courait de bouche en bouche, et le bruit se répandait dans toute l’Angleterre qu’Oxford professait les doctrines du papisme le plus exalté. Les attaques dirigées contre les novateurs en prirent plus d’amertume ; mais ceux-ci, sans daigner répondre, n’en poursuivaient pas moins leur tâche, faisant comme le sage, « laissant le fou parler follement. »

Pendant que du haut de la chaire le maître accusait ainsi les écoles protestantes d’ignorance et d’erreur, les disciples avaient lancé dans leur publication un manifeste non moins important dont la rédaction avait été confiée au plus ardent des leurs, M. New-mann. C’est le fameux Tract XC[2]. L’auteur osait avancer que jamais l’église d’Angleterre n’avait rejeté un seul des dogmes catholiques essentiels à l’église, que par suite elle ne pouvait faire cause commune avec la réforme. A l’en croire, nul n’avait encore compris le sens des trente-neuf articles constitutifs de l’établissement. Il fallait y distinguer soigneusement le côté politique et le côté religieux. Plus de papisme avait voulu dire au XVIe siècle plus de domination romaine ! « Qu’importaient à Henri VIII les doctrines de la

  1. On appelle accident dans la langue théologique la forme qu’emprunte l’essence impalpable de Dieu pour se révéler aux sens de l’homme. Ainsi, quand Dieu veut parler à Moïse, il se révèle sous l’accident du buisson ardent ; l’esprit saint descend sur les apôtres sous l’accident de langues de feu ; dans le sacrement eucharistique, Jésus-Christ apparaît sous l’accident du pain et du vin. Tout le débat théologique engagé entre l’ultramontanisme d’une part et l’anglo-catholicisme de l’autre est donc de saisir si dans la transsubstantiation l’accident devient Dieu lui-même, ou bien si Dieu est simplement en substance sous l’accident. Les écoles protestantes, on le sait, rejettent formellement l’une et l’autre explication.
  2. Newmann, Tract XC, et Apolog. pro vit.