Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débarquement des Anglais et des Russes sur les rivages du royaume de Naples. Or ce débarquement n’eut lieu que le 19 novembre. Ce que l’on connaissait le 13 novembre au Vatican, c’était l’étonnante capitulation d’Ulm, la défaite du général Mack, coupé dès le début de la campagne de ses communications avec Vienne, et la ruine complète de son armée, devenue en quelques semaines, seulement la prisonnière de guerre de son habile vainqueur. Il n’y avait certes point là de quoi inspirer confiance à Pie VII dans le succès des puissances coalisées contre la France. Il n’y avait jamais cru, et, comme nous l’avons déjà dit, il ne le souhaitait pas. Le saint-père était à ce moment exclusivement agité par ce qui venait de se passer dans ses propres états. On lui avait manqué de parole, on avait violé sa neutralité, on l’avait rendu suspect aux représentans de toutes les puissances catholiques, qui ne croyaient plus à ses pacifiques assurances ; bientôt le moment allait venir où le paisible exercice de sa mission apostolique, étendue sur le monde entier, lui serait partout impossible. Telles étaient les appréhensions qui déchiraient son cœur et les sentimens dont sa lettre était remplie. Le cardinal Fesch avait bien pressenti en la recevant combien l’expression d’une si violente douleur, si les termes n’en étaient pas habilement ménagés, pourrait blesser l’empereur. C’est pourquoi il avait demandé d’en prendre connaissance et qu’on lui en remît au moins copie ; mais Pie VII l’avait tenue secrète à Consalvi lui-même. Il lui avait semblé qu’il aurait plus de chances de réussir, et que l’amour-propre de Napoléon serait moins intéressé à ne pas céder aux instantes supplications de son ancien hôte, si elles lui parvenaient sous la forme d’un épanchement tout à fait intime et personnel. La lettre partit donc ainsi qu’elle avait été conçue et écrite par Pie VII. Il y avait donné cours avec une franche et généreuse ouverture aux sentimens qui, longtemps contenus par sa douceur naturelle et par des motifs d’une prudence tout humaine, s’échappaient maintenant avec impétuosité de son cœur trop péniblement affecté.


« Nous avouons franchement à votre majesté avec l’ingénuité connue de notre caractère que l’ordre qu’elle a donné au général Saint-Cyr d’occuper Ancône et de la faire approvisionner nous a causé non moins de surprise que de douleur. L’amertume de cette occupation nous a été rendue plus sensible, s’il est possible, par la manière dont elle a été accomplie, votre majesté ne nous en ayant en aucune façon prévenu. C’est avec un vif chagrin, nous ne saurions le dissimuler, que nous nous voyons ainsi traité d’une manière qu’à aucun titre nous ne croyons avoir méritée. Notre neutralité a été reconnue par votre majesté comme par toutes les autres puissances. Celles-ci l’ont pleinement respectée, et nous avions des motifs particuliers de croire que les sentimens d’amitié que votre majesté