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cour, si la France consentait à rappeler le corps d’armée de Gouvion Saint-Cyr. En se débarrassant de ce surveillant incommode, la cour de Sicile n’avait qu’un but, celui de rendre plus facile l’attaque méditée par les Anglais et les Russes sur les derrières de Masséna. L’empereur, résolu à ne diminuer en rien l’effectif des troupes placées sous ses ordres immédiats, mais trop sagace pour n’être pas en même temps un peu inquiet de l’infériorité trop évidente de son armée d’Italie, fut surtout frappé de l’avantage qu’il trouverait à pouvoir ainsi renforcer Masséna sans s’affaiblir lui-même. Cette raison le décida, et dans le courant de septembre, après avoir pris soin toutefois de lier à son égard la cour de Naples par les clauses explicites du traité le plus formel, il enjoignit à Gouvion Saint-Cyr d’opérer sa jonction avec le gros des troupes opposées sur l’Adige à l’archiduc Jean. Au point de vue militaire, cette concentration était tout à fait commandée par les nécessités mêmes de cet immense plan de campagne, qui avait pour but d’amener sous les murs de la capitale ennemie deux armées, dont l’une devait descendre la vallée du Danube, tandis que l’autre remontait les gorges de la Styrie et du Tyrol. Pour prendre position en Lombardie, il fallait que le corps d’armée de Gouvion traversât dans toute leur étendue les états du pape. Ses instructions lui ordonnaient de s’acheminer doucement le long des côtes de l’Adriatique. Tandis qu’accoutumé à régler par lui-même avec la plus rigoureuse précision tout le détail du mouvement de ses troupes, il suivait de l’œil sur la carte les différentes étapes que son lieutenant aurait à parcourir, le regard de Napoléon rencontra la ville d’Ancône. Ancône, son ancienne conquête, située presque en face de Corfou, repaire actuel des Anglais et des Russes, était naguère encore entre ses mains. Il avait eu la générosité, maintenant si fâcheuse, de la rendre sans conditions à Pie VII, qui, pour récompense, venait à l’instant même de lui montrer tant de mauvaise volonté dans l’affaire du mariage de son frère Jérôme. Les motifs de conscience mis en avant par le saint-père n’avaient été, après tout, que de vains prétextes ; ils avaient servi à découvrir le fond même de son cœur. Puisque la cour de Rome faisait maintenant des vœux patens pour ses ennemis, il n’était que sage de mettre fin à de puérils ménagemens et de prendre, malgré elle et au besoin contre elle, toutes les précautions qu’exigeait l’état présent des choses en Italie. Au lieu de passer simplement dans le voisinage d’Ancône, Gouvion Saint-Cyr reçut donc l’ordre de s’y introduire de gré ou de force, d’y établir garnison, d’en renforcer la citadelle et de concentrer dans ses mains le commandement de tout le pays environnant.

A tous les points de vue, cette décision de l’empereur était une faute. Du moment que, par des raisons militaires et pour renforcer