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l’organisation des anciens bataillons du camp de Boulogne. La besogne confiée à Masséna pouvait donc, dans certaines circonstances, devenir d’une assez difficile exécution. Une escadre anglaise s’était fait voir dans la Méditerranée ; elle avait des croiseurs dans l’Adriatique. Une armée anglo-russe se faisait entrevoir à l’horizon, prête à partir de Corfou et de Malte pour débarquer dans quelque port de l’Italie méridionale ; déjà l’on attendait presque publiquement son arrivée à Naples. Napoléon, qui ne souhaitait pas d’extraordinaires succès à son habile lieutenant, mais qui voulait encore bien moins lui attirer des revers, crut utile d’appeler la politique à son aide afin de rendre plus de liberté dans ses manœuvres à cette armée placée hors du cercle de son action personnelle, et dont il ne pouvait de si loin diriger tous les mouvemens. Les inspirations de cette politique ne furent point cette fois très heureuses, et, chose rare pour lui, l’empereur, d’ordinaire si méfiant, se fit lui-même en cette occasion l’instrument des secrets desseins de ses plus acharnés ennemis. Il y avait au fond de la péninsule italique quinze ou vingt mille Français qui, sous les ordres du général Gouvion Saint-Cyr, tenaient garnison à Otrante et dans ses environs. Ce corps d’observation, placé à quelques jours de marche de sa capitale, répondait de la bonne volonté du roi de Naples ; mais il manquait aussi beaucoup à Masséna, qui se plaignait de n’avoir sous la main que des forces insuffisantes, et mettait vivement en relief dans sa correspondance tous les dangers de sa situation. Napoléon était assez perplexe. Il commençait à ressentir déjà les inconvéniens de l’extension trop considérable donnée à ses grandes combinaisons stratégiques, qui, embrassant désormais l’Europe presque entière comme un vaste échiquier, ne lui permettaient plus d’être prêt à faire face partout aux éventualités d’une lutte engagée sur tant de points éloignés avec de si nombreux adversaires.

Tous les efforts des diplomates de la Russie et de l’Angleterre étaient alors tendus vers le cabinet des Deux-Siciles. Ils avaient trouvé un ardent appui chez la reine de Naples. C’était d’accord avec eux et cédant à l’influence de son ministre anglais, Acton, et du général russe de Lascy, que l’orgueilleuse sœur de Marie-Antoinette avait entraîné son faible époux, le roi Ferdinand, à tenter le rôle le plus indigne à la fois et le plus dangereux, celui de tendre un piège abominable au tout-puissant souverain de la France. Ce piège réussit d’abord complètement. Soit en effet que le soupçon ne vînt pas à Napoléon qu’une si faible puissance oserait jamais le braver à ce point, soit qu’à l’avance il se complût dans la facile revanche qu’à tout mettre au pis il saurait bien prendre d’une aussi perfide trahison, l’empereur accueillit avec plaisir l’offre solennellement faite à Paris par l’ambassadeur de Naples de la neutralité de sa