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conscience et aux principes invariables de l’église. C’est pourquoi nous espérons vivement, disait en terminant le saint-père, que votre majesté sera bien persuadée que le désir dont nous sommes toujours animé de seconder autant qu’il dépend de nous ses desseins, particulièrement dans une affaire qui touche de si près à son auguste personne, n’a été cette fois rendu inefficace que par l’absence absolue de pouvoir, et nous la supplions de vouloir bien accepter cette sincère déclaration comme un témoignage de notre affection véritablement paternelle[1]. »

Il semblait que cette lettre, écrite tout entière de la main de Pie VII, portait en elle-même le témoignage de la plus évidente bonne foi. Jamais cependant l’empereur n’y voulut croire. Il ne consentit point à prendre pour sérieuses et sincères les raisons canoniques longuement déduites par le saint-père. Il les considéra comme de vains prétextes mis en avant pour colorer l’intention où était maintenant le Vatican de lui être désagréable et de prendre ainsi sa revanche du refus des Légations. Faire dépendre la décision d’une affaire aussi importante de la publication ou de la non-publication d’un décret du concile de Trente dans la petite ville de Baltimore parut à Napoléon une puérilité ridicule qui démontrait surabondamment l’offensante mauvaise volonté du saint-père. Ce qui l’exaspéra surtout et donna lieu aux plus violentes sorties, c’était cette protection patemment accordée, suivant lui, à la cause du protestantisme. Comment ! lui, l’homme du siècle, prenait en main la cause de la religion romaine, et c’était le pape au contraire, le chef et le défenseur-né du catholicisme, qui n’en montrait nul souci ! Son indignation à ce sujet était extrême ; il ne dépendait pas de lui de la taire. L’expression blessante de cette mauvaise humeur feinte ou réelle arriva jusqu’à Rome. Elle contrista profondément le saint-père, elle ne l’ébranla point. Sa conscience, sérieusement consultée, lui avait clairement répondu. Son honneur de prêtre, le salut de son âme, étaient en jeu ; la ligne du devoir était nettement tracée. « Dieu aidant, il n’y faillirait point. »

Dans cette première contestation avec le saint-siège, comme dans celles qui suivirent, le malheur de Napoléon fut de ne pas se rendre à l’avance un compte suffisant de la nature des obstacles contre lesquels de gaîté de cœur il allait ensuite violemment se heurter, ou plutôt, car rien n’échappait à la sagacité de ce prodigieux esprit, son mépris des hommes était devenu si général et si absolu, sa confiance croissante dans ses moyens d’action personnelle avait pris de telles proportions, qu’il n’y avait plus un genre quelconque d’opposition dont à la longue, — par habileté ou par

  1. Lettre de Pie VII à l’empereur Napoléon, juin 1805.