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philtre destiné à détruire la beauté fatale qui lui enlevait l’amour de Gino ; mais ce philtre, — tout simplement un poison mortel, l’antimoine, — devait être administré à Gemma chaque jour, à doses savamment ménagées et par des mains non suspectes. On voit maintenant comment les services de Parenti étaient devenus indispensables à Dianora.

Le pacte une fois noué, Gemma ne tarda pas il tomber malade, et, tout naturellement appelé à lui donner ses soins, le professeur devint maître de sa vie. Il pouvait à son gré ralentir, accélérer les progrès de ce mal inconnu, de cette langueur inexplicable qui, sous les yeux attristés de Gino, minait l’existence et flétrissait les charmes de sa bien-aimée. Investi de cette redoutable puissance, il était à son tour sous l’empire absolu de celle qui l’employait comme instrument de ses vengeances. Elle le tenait à la fois par l’espérance et la crainte, tour à tour maniant ces deux ressorts avec une habileté, une audace dignes de ses formidables ancêtres, et il obéissait en fidèle esclave, épiant le moment où, prise elle-même dans ses propres rets, elle serait forcée de l’accepter pour maître ; mais il n’avait pas tenu compte de ces violens soubresauts par lesquels les âmes fortes entraînées vers le mal se rejettent en arrière, inopinément touchées de repentir, saisies d’horreur, détestant et le mal qu’elles ont fait et les êtres dégradés qu’elles ont associés à leurs desseins pervers. Dianora éprouva ce sentiment pour le docteur Parenti ; le regret des engagemens presque formels qu’elle avait dû prendre vis-à-vis de lui, la perspective de se voir un jour contrainte à les remplir, — la pitié que les souffrances de Gemma éveillaient en elle, — la certitude que la mort même de sa rivale ne lui rendrait pas l’amour de Gino Donati, — déterminèrent enfin chez Dianora un de ces brusques retours. A la suite d’une visite qu’elle avait faite avec assez de mystère au médecin du couvent de Santa-Teresa, cet excellent vieillard courut lui-même chez Venturi, et après s’être rendu compte des symptômes du mal, de ses inexplicables alternatives, du traitement suivi par Gemma, il prit à part son confrère, qu’il interrogea minutieusement. Tout disposé à payer d’audace, Parenti dut bientôt baisser le ton quand il put se convaincre, par les sourdes allusions de son ancien, que le témoignage de Dianora pourrait être au besoin invoqué contre lui, et, repoussant jusqu’au bout les soupçons absurdes dont on le rendait victime, il n’en consentit pas moins sur l’injonction formelle du vieux docteur Biagi, à quitter Sienne sous vingt-quatre heures.

Dans ce bref délai qui lui était accordé, Parenti réussit à se ménager une dernière entrevue avec Dianora, qu’il espérait encore entraîner avec lui. Pour la décider à le suivre, la voyant plus que jamais rebelle à ses vœux, il lui remit une lettre dérobée par lui à la pauvre Gemma, et qui, si la marchesina conservait encore quelques prétentions sur le cœur de Gino, devait inévitablement dissiper ces visées chimériques. Dianora lut cette lettre avec attention, et sans répondre aux récriminations, aux