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présomptif. Cette tante, qui les aime tous deux également, songe un peu tard à réparer envers sa nièce les rigueurs de la fortune et quand elle y songe, elle se contente de la désigner au capitaine comme la femme qu’elle voudrait lui voir épouser. En bon et loyal héritier, celui-ci déclare vouloir se conformer aux désirs de la défunte, et pour le coup on peut croire bel et bien mariée à celui qu’elle aime la tendre et charmante Clara Amedroz ; mais où serait le roman, si elle l’épousait ? Il faut donc que l’heureuse fiancée s’aperçoive à temps qu’elle va se donner à un galant homme fort peu épris d’elle, qui, en sollicitant sa main, obéissait presque uniquement à une inspiration d’honneur et de devoir. Il suffit que Clara puisse démêler sous les empressemens un peu contraints de son futur cette vérité si triste et si décourageante pour qu’elle lui rende sa promesse. Ce sacrifice accompli, que deviendra-t-elle ? Son père est mort ; le domaine de Belton est passé dans les mains de ce cousin dont elle a méconnu, méprisé l’attachement si dévoué, si complet. en supposant même qu’un premier refus ne l’eût pas éloigné à jamais, comment pourrait-elle, après les confidences qu’elle lui a faites afin de justifier ce refus, accepter de lui autre chose qu’une amitié fraternelle ? A la manière dont la question est posée, il est facile de pressentir comment elle se résout, et nous pouvons nous dispenser de le dire. L’intérêt d’ailleurs n’est pas là. Il porte presque uniquement sur la vérité des différens personnages mis en jeu. A part la figure un peu effacée de Clara, nous avons ici l’homme du monde (le capitaine Aylmer), le gentilhomme agriculteur (le cousin William Belton), la tante dévote (mistress Winterfeld), qui semblent autant de portraits d’après nature, d’une rare exactitude et d’un fini très méritoire. Notons aussi comme appartenant à un ordre d’observations très subtiles l’analyse de l’effet produit sur le capitaine Aylmer par la loyale franchise avec laquelle Clara lui laisse voir, une fois leurs promesses échangées, toute la tendresse qu’il lui a inspirée sans y prétendre. Cette tendresse, qu’il comprendrait, s’il en était digne ou s’il l’avait jamais partagée, l’éloigne plus qu’elle ne l’attire, et atténue encore, au lieu de l’exalter, le tiède penchant qu’il a cru ressentir pour Clara Amedroz. Il y a là une étude exacte de certaines infirmités morales plus fréquentes qu’on ne le pense, et qui, ne se laissant guère surprendre sans masque, sont assez difficiles à définir aussi nettement.

Laissant l’Angleterre à son frère, M. Adolphus Trollope s’est constitué le chroniqueur et le romancier de l’Italie. Marietta, La Beata, quelques autres récits encore, attestent chez lui un grand zèle d’investigations, joint à une compétence réelle. La vivacité, l’originalité, manquent un peu à ces études ; au moins leur manquent-elles pour nous, qui avons présentes à la mémoire les Nouvelles de Stendhal, ses Promenades dans Rome, et les jolies esquisses italiennes signées ici même par M. Paul de Musset. Gemma, le dernier roman du second des Trollope, est une anecdote siennoise qui paraît se rapporter à une époque assez récente, à une vingtaine d’années