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sans avoir cessé de l’adorer, et de son dernier souffle appelant sur lui les bénédictions d’en haut.

Dès ce moment, William Bowker cessa de lutter. Il accepta sa proscription, et par degrés en vint où nous le voyons, à n’être plus qu’un bohémien jovial et sans fiel, inoffensif après tout, mais ne faisant guère plus de bien que de mal. il avait quelque part un menu capital dont le revenu défrayait ses plus pressantes nécessités ; de temps à autre, quand le cours des âges eut atténué le souvenir de son crime, tel ou tel de ses anciens protecteurs, sachant qu’il peignait bien et à vil prix, lui venait faire quelque commande. Il ne remonta jamais plus haut, mais il se contentait de ce lot modeste, et sa sobre vie, une fois gagnée, ne réclamait pas autre chose….. »


Le roman auquel nous venons d’emprunter ce passage est en germe dans une des nouvelles de Stendhal, que les premières scènes de Land at last rappellent surtout très nettement. Comme le lieutenant Liéven du Philtre, — ici nous entrons dans un nouvel épisode du récit de M. Edmund Yates ; — Geoffrey Ludlow, sortant un soir de son club, aperçoit, pelotonnée contre une borne, une malheureuse que le froid et la faim ont jetée là sans connaissance. Il la relève, la ranime, la sauve d’une mort imminente, et avant même de l’avoir vue reçoit en plein cœur les remerciemens émus qu’elle lui adresse d’une voix à peine distincte. Que deviendra-t-il le lendemain quand il retrouvera, dans le modeste abri qu’il lui a ménagé, une de ces rares beautés que l’artiste seul sait apprécier ? L’or de ces cheveux fauves, la teinte violette de ces yeux profonds et fixes, le tiennent sous un charme dont il ne se peut défendre. Vient un moment où la reconnaissance que miss Dacre lui doit, le vif intérêt qu’il lui témoigne, peut-être même un pressentiment vague de l’avenir qui se dessine pour elle, provoquent de la part de celle-ci certaines explications terriblement délicates. Elle a été, lui dit-elle, victime d’une lâche séduction suivie d’un abandon plus lâche encore. Étourdi par le vin capiteux d’un premier amour, obsédé par cette figure qui se retrouve désormais malgré lui sur toutes ses toiles, Geoffrey accepte complètement la situation et ses conséquences. Lui, jusque-là pur de toute folie, l’homme de la famille et du devoir, le soutien d’une mère et d’une sœur aussi honnêtes qu’il l’est lui-même, il ne saura pas éviter ce piège grossier, résister à cette tentation flétrissante. Mettant en pratique les Idées de Mme Aubray, il devient l’époux de cette autre Jeannine.

Quelques mois de bonheur le récompensèrent de ce dévouement sans bornes. Une affreuse catastrophe le lui fit expier. Margaret Dacre, même lorsqu’elle semblait lui livrer tout entier le secret de sa vie, l’a indignement trompé. Elle ne lui a pas donné le vrai nom de son séducteur. Elle ne lui a point fait connaître la nature du lien qui les unissait. Il croit avoir épousé la maîtresse d’un obscur officier ; il apprend tout à coup, et