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dans l’eau noire de l’enfer du haut de ce pont qui sépare la terre du ciel, qui s’abaissera au jour de la résurrection universelle, mais où ne peuvent passer d’abord que les seuls élus montant vers Ormuzd. Ardouissoura, l’eau divine, coule à travers la verdure et les fleurs, les êtres vivans naissent sans fin sur ses rives ; elle reparaît tous les jours avec le soleil sur l’Albordji, l’Olympe et le paradis de l’Avesta, où séjournent les anges gardiens des hommes vertueux, — montagne bienheureuse où il n’y a, dit Zoroastre en termes analogues à ceux d’Homère, ni nuit, ni vent glacé, ni chaleur, ni fruit de la mort, et où marche continuellement le Roi-Soleil.

Le polythéisme grec à son origine, avant que les écoles philosophiques et les religions de l’Orient ne l’aient modifié, ne connut pas les espérances consolantes de la vie future. Il livrait les âmes à une angoisse douloureuse. Dans la Grèce asiatique elle-même, si poétique et si brillante, qui vivait à la lumière sereine de l’Olympe, la pensée de la mort étendait son ombre sur toutes les joies. Mourir, pour les homérides, c’était perdre à jamais la jouissance du soleil et errer éternellement au-delà de l’océan dans les ténèbres, parmi les pâles asphodèles. Cependant la race religieuse des Pélasges était parvenue de vallée en vallée jusqu’au centre des montagnes du Péloponèse, où elle s’arrêta, et où elle ne fut jamais troublée, même par l’invasion des Héraclides. — Ils avaient des mœurs simples et pastorales, l’esprit austère, peu artiste, mais porté à la méditation des choses invisibles. La nature de l’Arcadie était bien appropriée à leur génie et à leur tristesse ; ils se recueillirent en face des phénomènes singuliers et des paysages sévères qu’ils y rencontraient, ils la peuplèrent de leurs petits dieux humbles et doux, de leurs cultes grossiers et naïfs ; puis, cédant peu à peu à la révélation du monde extérieur et agrandissant leurs superstitions au contact de la nature, ils créèrent pour toute la famille hellénique la religion des enfers.

Grâce à la constitution géologique de l’Arcadie, la circulation et l’écoulement des eaux vers la mer présentent dans cette contrée une particularité très remarquable, qui eut une influence certaine sur la formation des mythes infernaux. Le point culminant de toute cette région montagneuse et du Péloponèse entier est le massif des monts Aoraniens au nord, en vue du golfe de Corinthe. De ce vaste sommet découlent vers les quatre points de l’horizon des cours d’eau dont quelques-uns seulement, tels que le Styx uni au Crathis, trouvent aussitôt du côté du golfe une issue libre. Les autres se réunissent d’abord dans la petite vallée circulaire du Phénéos, où ils forment un lac profond. Ils en sortent par des conduits souterrains où ils s’engouffrent, et qui les déversent dans des vallées