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Beaucoup plus tard, lorsque la vieille religion déclinait déjà, les Grecs, sous l’empire des doctrines spiritualistes qui suivirent Anaxagore et durèrent jusqu’à Aristote, jugèrent que la passion, le plaisir, la colère ou le rire étaient indignes des dieux, et Phidias, interprète de ces idées nouvelles, sculpta pour les temples ces figures si calmes et si augustes où rayonne seulement l’intelligence, et dont ni l’amour ni le désir ne troublent l’impassible sérénité. Toutefois la trace des antiques croyances avait été trop profonde, et bientôt la Grèce, avec Praxitèle et Épicure, avec ses derniers sculpteurs et ses derniers sages, revint aux heureuses et voluptueuses divinités qu’elle avait naguère imaginées dans une région de félicité. Lucrèce, qui ne croyait plus à l’Olympe, traduit encore, pour peindre le ciel de ses dieux solitaires et indifférens, la description idéale d’Homère, à laquelle il ajoute dans un vers magnifique le large sourire de la lumière céleste, tant la sensation primitive, tant l’émotion poétique donnée par la nature avait été vive ; elle survécut au polythéisme lui-même, et, après avoir inspiré les poètes et les artistes, recueillie par des raisonneurs et des sceptiques, elle colora encore comme d’une lueur mourante les aridités de la métaphysique.


II

La notion de l’enfer dans les religions primitives des Aryens répond à la préoccupation inquiète des destinées des hommes au-delà de cette vie terrestre. Le sentiment de l’immortalité de l’âme, étranger aux anciens peuples sémitiques, et qui fut éminemment propre à la race indo-hellénique, porta celle-ci à imaginer le séjour de ceux qui ont vécu avec cette curiosité pénétrante qui lui avait fait concevoir la demeure des êtres éternels. Le mystère de la mort, l’entraînement invincible des individus vers leur fin, la fuite perpétuelle et l’écoulement des générations humaines, s’imposèrent dès les temps les plus reculés aux esprits méditatifs et religieux non-seulement comme la loi fatale de notre espèce, mais comme la loi universelle des êtres et des choses proclamée et subie par la nature entière. De même que celle-ci, par la beauté et la grandeur de ses formes, par la puissance infinie et variée de sa vie, leur dévoilait les merveilles du monde divin, elle leur découvrit, par des analogies de phénomènes devenus autant de symboles, les secrets mélancoliques du tombeau. Le mouvement sans repos de l’eau courante, ses formes fuyantes, ses couleurs, qui sans cesse naissent et s’évanouissent, surtout sa chute irrésistible vers les lieux inférieurs et obscurs, sa disparition dans les ouvertures de la terre ou l’abîme insondable de la mer, ses retours inattendus à la lumière du jour