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Voilà un homme qui peut me faire couper la tête, et cette idée me trouble. »

Quesnay s’était aussi occupé de métaphysique ; il avait écrit pour l’Encyclopédie l’article évidence. À la fin de ses jours, il approfondit l’étude des mathématiques, et parcourut ainsi tout le cercle des connaissances humaines. Physiologiste, philosophe, calculateur, son esprit portait à la fois l’empreinte de ces diverses études. Il vécut assez pour voir Turgot arriver au ministère, mais il n’eut pas la douleur d’assister à sa chute. Il mourut octogénaire le 16 décembre 1774 ; ses derniers momens furent admirables de calme et de sérénité.

Les disciples de Quesnay ne prenaient pas eux-mêmes le nom de physiocrates, ils s’appelaient et on les appelait les économistes ; mais ce nom a pris plus tard une signification plus générale. Les principaux furent le marquis de Mirabeau, Turgot et Dupont de Nemours ; après eux venaient l’abbé Baudeau, l’abbé Roubaud, Lemercier de La Rivière, Le Trosne, Abeille, Boncerf, etc. Tous travaillèrent avec un dévouement admirable à propager leurs idées pour le bonheur de l’humanité, et on ne peut leur reprocher que l’excès même de leur zèle, qui finit par fatiguer les contemporains. Ils avaient fondé vers la fin de 1765 un recueil périodique sous ce titre : Éphémérides du citoyen, ou Chronique de l’esprit national. M. de Tocqueville a fort bien remarqué que dans beaucoup d’écrits de ce temps on reconnaît déjà la langue d’une société nouvelle. Ces mots de citoyen et d’esprit national, en plein règne de Louis XV, indiquent à eux seuls une révolution commencée. Plus tard, ce recueil prit pour second titre : Bibliothèque raisonnée des sciences morales et politiques, appellation plus remarquable encore que la précédente. Les Éphémérides se publièrent tous les mois, sauf une courte suspension, de 1767 à 1776, et ne cessèrent de paraître que quand Turgot quitta les affaires. Là se succédèrent de nombreux articles sur la liberté du commerce des grains et du commerce en général, sur les conditions du développement agricole, sur l’assiette et la quotité des impôts, sur les dangers du luxe public et privé, sur les funestes effets des emprunts publics.

Celui de ces écrits qui fit le plus de bruit fut l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, de Lemercier de La Rivière, que Dupont de Nemours appelle un ouvrage sublime. L’auteur y insiste trop sur la partie la plus contestable des idées du maître ; la théorie du gouvernement d’un seul. Il distingue bien entre ce qu’il appelle le despotisme légal et le despotisme arbitraire ; autant il vante l’un, autant il repousse l’autre ; mais qu’est-ce qu’un despotisme qui n’est pas arbitraire ? Ce n’est plus un despotisme. À pro-