Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/989

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La première application de la liberté du commerce devait être l’abandon de ce qu’on a appelé le système mercantile. D’après ce système, les métaux précieux forment la véritable richesse d’un peuple ; il fallait donc, croyait-on, vendre à l’étranger le plus de marchandises possible, lui en acheter le moins possible et attirer à soi la différence en monnaie métallique ; c’est ce qu’on appelait mettre de son côté la balance du commerce. Quesnay montre en peu de mots que le véritable gain consiste non dans le solde en argent, mais dans le prix des marchandises, et qu’une nation qui achète cher et qui vend bon marché pour se procurer des métaux précieux perd en réalité, quoiqu’elle paraisse gagner. Ce profond aperçu mérite d’autant plus l’attention qu’il ne s’applique pas seulement à l’ancienne théorie de la balance du commerce. Cette vieille illusion n’a plus de partisans, mais on la remplace trop souvent par une préoccupation trop exclusive du commerce extérieur, qui n’est pas sans quelque rapport avec le système mercantile. Quesnay ne tombe pas dans cette faute ; il distingue les cas où le commerce extérieur est profitable et ceux où il ne l’est pas ; tout dépend des prix. M. Stuart Mill, dans ses Principes d’économie politique, a renouvelé de nos jours cette démonstration en traitant des valeurs internationales.

Lorsque Quesnay s’écrie : que « la nation ne souffre pas de perte dans son commerce réciproque avec l’étranger, quand même ce commerce serait profitable aux commerçans, » il a en vue les monopoles, les privilèges, les primes, tous les moyens imaginés pour accroître telle ou telle branche de commerce aux dépens des autres. De ce qu’un commerçant privilégié fait des bénéfices, il ne s’ensuit nullement que ces bénéfices profitent à son pays ; ils peuvent au contraire lui coûter fort cher. Il n’y a de profits réels que ceux qui s’obtiennent avec la libre concurrence.

« 26. — Qu’on soit moins attentif à l’augmentation de la population qu’à l’accroissement des revenus, car plus d’aisance que procurent de grands revenus est préférable à plus de besoins pressans de subsistances, qu’exige une population qui dépasse les revenus. »

Quesnay pose ici dans ses véritables termes le problème de la population. Pour remplir les vides qu’avaient faits dans la nation de longues souffrances, le gouvernement cherchait à encourager les mariages et les naissances, sans songer qu’il ne travaillait qu’à augmenter la misère publique, tant que les subsistances ne se multipliaient pas. Voulez-vous accroître la population, commencez par augmenter la somme des subsistances. Toute la doctrine de Malthus est d’avance contenue dans cette maxime et en des termes moins susceptibles de mauvaise interprétation.