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moyen de se rendre populaire, puisqu’il supprima l’édition de son Tableau. Il chercha à présenter un résumé plus accessible de sa doctrine, et il y réussit dans un opuscule encore fort concis, mais beaucoup plus clair, qu’il intitula Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole. C’est là surtout qu’on peut l’étudier avec fruit. Remarquons d’abord ces mots : gouvernement économique d’un royaume agricole. Quesnay avait toujours pour but principal d’agir sur l’esprit du roi, en lui montrant que l’agriculture donnait seule des fondemens solides à la puissance des états. Son Tableau économique portait cette épigraphe à l’adresse de Louis XV : Pauvres paysans, pauvre royaume ; pauvre royaume, pauvre roi. Voici maintenant ses maximes : elles sont au nombre de trente et affectent le ton bref et impératif des lois positives :

« 1. — Que l’autorité souveraine soit unique et supérieure à tous les individus de la société et à toutes les entreprises injustes des intérêts particuliers, car l’objet de la domination et de l’obéissance est la sûreté de tous et l’intérêt licite de tous. Le système des contre-forces dans un gouvernement est une opinion funeste qui ne laisse entrevoir que la discorde entre les grands et l’accablement des petits.

« 2. — Que la nation soit instruite des lois générales de l’ordre naturel qui constituent le gouvernement évidemment le plus parfait. L’étude de la jurisprudence humaine ne suffit pas pour former les hommes d’état ; il est nécessaire que ceux qui se destinent aux emplois de l’administration soient assujettis à l’étude de l’ordre naturel le plus avantageux aux hommes réunis en société. Il est encore nécessaire que les connaissances pratiques et lumineuses que la nation acquiert par l’expérience et la réflexion se réunissent à la science générale du gouvernement, afin que l’autorité souveraine, toujours éclairée par l’évidence, institue les meilleures lois et les fasse observer exactement pour la sûreté de tous. »

La première maxime a soulevé avec raison les plus vives attaques. Quesnay s’y déclare pour le gouvernement d’un seul ; tous ses disciples ont soutenu plus ou moins la même thèse. M. de Tocqueville, dans l’Ancien Régime et la Révolution, relève sévèrement cette erreur et s’en fait une arme contre les économistes. En elle-même, on ne peut la défendre, mais on peut l’expliquer et l’excuser. Il ne faut pas oublier que nous sommes en 1760 : l’autorité royale est absolue et n’admet aucun tempérament. Demander une forme quelconque de liberté politique, c’est rêver l’impossible. Quesnay n’a sous les yeux que la turbulence aveugle et impuissante des parlemens ; il connaît l’aversion profonde de Louis XV pour les états-généraux. Il ne peut espérer de réaliser ses idées que par le pouvoir absolu ; il invoque donc ce secours, et