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la noblesse et lui dire qu’il avait six mille francs de rente sur l’État. Le professeur répondit en termes respectueux que la particule ne pouvait pas s’adapter à son nom et que l’argent trouverait un bien meilleur emploi chez les convalescents et les orphelins de Hochstein. Vers le même moment, le préfet du Bas-Rhin crut devoir féliciter le professeur et lui dire qu’il l’avait proposé au ministre pour la croix. M. Marchal réclama vivement en faveur du vieux docteur Langenhagen, qui avait, disait-il, des droits plus anciens et surtout plus français.

Cette conduite obtint dans le public les éloges qu’elle méritait ; tout Strasbourg se sentit honoré par la conduite du professeur. Une seule personne protestait au fond du cœur ; vous devinez bien qui, et je n’ai que faire de la nommer. Elle ne pouvait croire que le même homme fat alternativement bon et mauvais, loyal et félon, sublime de désintéressement et ignoble de cupidité. En un mot, elle n’admettait point qu’on pût être coupable envers elle sans l’être envers le monde entier ; telle est la logique des femmes. Donc, sans incriminer formellement les dernières actions d’Henri, elle en cherchait le revers, ne le trouvait pas, et se damnait de dépit. Comme M. Marchal était devenu quelque peu prophète en son pays, elle ne pouvait plus le larder comme autrefois sans se faire jeter la pierre : Adda changea de note et se mit à célébrer le héros du jour avec l’emphase la plus comique. Elle inventa un mode d’admiration si grotesque, elle travestit si perfidement les louanges qui circulaient de bouche en bouche, que trois mois de ce petit travail auraient transformé le sauveur de Hochstein en bouffon pitoyable.

Les Marchai échappèrent à ce danger, mais il leur en coûta cher. Le frère aîné d’Henri se trouvait depuis quelque temps dans des affaires difficiles. Le sort avait tourné contre lui : ses embarras étaient tels que le pauvre homme ne put pas même quitter Paris pour le mariage de son frère. Il avait annoncé son arrivée ; on l’attendit, mais au dernier moment il s’excusa par un mot sinistre : « La corde est si tendue, écrivait-il, que si je prenais demain la diligence de Strasbourg, on dirait que je vais à Kehl. Il se remit un peu, trouva un reste de crédit, lutta sans confiance, livra quelques dernières escarmouches, et finit par tomber sur le champ de bataille. On n’a jamais bien su s’il était mort de maladie ou autrement ; son acte de décès arriva chez Henri avec l’état détaillé du passif et la liste de quelques créanciers plus pauvres ou plus intéressants que les autres. Le docteur et sa femme, après cinq minutes de délibération, écrivirent au syndic qu’ils acceptaient la succession tout entière.