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Assurément chacun serait bien aise de s’acheminer vers l’urne électorale en compagnie de l’ouvrier de Punch, tandis que l’alliance même la plus éloignée avec les roughs est de nature à inspirer à tout honnête homme les plus vives et les plus légitimes répulsions.

Une aussi grosse affaire que la réforme électorale ne pouvait être laissée à l’initiative pure et simple de M. Bright ou de tout autre membre du parlement. Une telle réforme ne saurait s’accomplir que par l’action du gouvernement s’appuyant sur un grand parti politique. Lord Russell et M. Gladstone n’ayant pas réussi dans leur tentative, lord Derby et M. Disraeli ont dû se mettre à l’œuvre pour résoudre cette épineuse question. On sait que d’autres grandes réformes, l’émancipation des catholiques et l’abolition des lois sur les céréales par exemple, avaient été opérées par des cabinets conservateurs qui obtenaient du parti tory et de la chambre des pairs des concessions qu’on n’aurait pas faites à un ministère whig. Si les partis politiques pouvaient rendre justice à leurs adversaires, ceux qui se montrent si méfians envers le ministère de lord Derby devraient être frappés de ce fait, que, sans perdre un instant, ce ministère a présenté et fait adopter par le parlement une réforme des lois sur les pauvres dans Londres, réforme pratique et bienfaisante devenue d’une urgence extrême, et à laquelle les cabinets libéraux de lord Palmerston et de lord Russell n’ont jamais donné la moindre attention.

Les conservateurs, si souvent chargés de la mission de faire la leçon à la foule, ne sauraient être populaires nulle part. Lord Derby ne l’ignore pas, et sans croire à la nécessité d’une réforme du parlement, comme il l’a dit lui-même avec trop de franchise peut-être à la chambre des lords, il a entrepris de mettre un terme à l’agitation que les luttes des partis, envenimées par les passions populaires, répandaient chaque jour davantage dans le pays ; mais, tout en admettant qu’en l’état actuel des choses il y avait lieu d’étendre le droit électoral à la portion la mieux préparée et la plus aisée des classes laborieuses qui ne le possédait pas encore, il ne voulait pas le faire sans établir un contre-poids propre à empêcher la démocratie encore peu éclairée de devenir d’un seul coup maîtresse exclusive des élections et par suite des destinées de l’état. Il entendait travailler à une réforme tout en empêchant une révolution qui, changeant soudainement la constitution de l’Angleterre, remettrait à une seule classe le gouvernement du pays. Sans doute il avait aussi devant les yeux les intérêts du parti conservateur, et il était décidé à les sauvegarder autant que faire se pourrait. Cela était bien naturel, et il n’était guère possible qu’il en fût autrement. Ceux qui l’attaquent devraient ne jamais oublier que le cabinet tory