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un empire auquel naturellement elles n’auraient eu aucun droit. Bien qu’opposé à la réforme électorale, lord Palmerston a permis à deux membres de son cabinet, lord Russell et M. Gladstone, d’agiter continuellement devant le pays le drapeau d’une réforme qui ne devait pas aboutir. L’été dernier, la minorité radicale de la chambre des communes, qui, sous la direction de M. Bright, demandait uniquement l’extension du droit électoral afin de devenir maîtresse des élections, amena la chute du ministère whig, qui, s’il avait été libre, aurait présenté sur cette question un système complet, tel que le voulait le paye. Cette année, le cabinet tory a considérablement changé les plans de réforme d’après les vues de trois de ses membres qui ensuite se sont retirés en lui laissant l’embarras d’expliquer au public la cause de sa dangereuse versatilité.

On ne saurait trop insister sur cet ascendant prépondérant des minorités radicales, qui est le trait le plus caractéristique de la situation. Ce trait devient plus saillant encore à mesure que l’on porte son regard plus bas dans les degrés de l’échelle sociale. Partout on voit la majorité libérale débordée, paralysée. On en peut citer comme exemple la grande manifestation pour la réforme électorale qui eut lieu à Londres en décembre dernier. Bien qu’au lieu de présenter une masse de cent cinquante mille ouvriers, comme on l’avait annoncé, cette procession ne se composât tout au plus que de trente mille individus, l’ordre admirable du défilé et surtout la conduite de ces légions de travailleurs au moment où elles durent rétrograder sans avoir pu accomplir leur dessein étaient propres à inspirer une vraie sympathie, même à des adversaires politiques. Pourquoi donc ces soldats du travail, ces trade’s unions marchant joyeusement au pas de charge, animés par une musique militaire, chaque métier ayant son drapeau déployé, s’arrêtèrent-ils et rebroussèrent-ils chemin au lieu de se rendre à l’endroit du rendez-vous ? Ce fut l’acte d’une minorité, aussi peu estimable par la composition qu’insignifiante par le nombre, qui mit si brusquement un terme à cette démonstration. Avec une sagacité digne d’une meilleure cause, la partie de la population qu’on nomme en Angleterre les roughs, qu’en France on appellerait la canaille, saisissant immédiatement le point faible de l’affaire, comprit que, tant que cette procession s’avancerait sur de larges routes, tant qu’elle ne quitterait pas le grand chemin, il n’y aurait aucun espoir d’exercer un commerce lucratif, et que c’était seulement dans une ruelle étroite où devaient passer les ouvriers en quittant Fulham-Road pour se rendre au lieu du rendez-vous qu’il y aurait de bons coups à tenter. Entendre c’est obéir, disent les Orientaux ; le mot d’ordre donné on ne sait par qui, mais certainement donné par quelqu’un, fut suivi à la lettre, et l’on vit le matin, avant le défilé des ouvriers,