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en ce moment l’Angleterre à propos de la réforme électorale est-elle de nature à causer de sérieuses alarmes à ceux qui considèrent ce pays comme le plus ferme appui de la liberté en Europe ? Cette crise est-elle de nature à réjouir les partisans des anciennes idées qui ont toujours vu dans la constitution anglaise une menace permanente pour le repos du continent ? Lorsqu’il y a un demi-siècle le beau-père de Napoléon laissait tomber du haut de son trône impérial ces célèbres paroles : totus mundus stultizat, il était plus préoccupé de la constitution de la puissante Angleterre que de ces œuvres éphémères du carbonarisme méridional dont quelques régimens de Croates suffisaient alors pour avoir raison ; mais depuis le monde a marché, et des révolutions sans nombre ont fait prévaloir un ordre de choses qui, s’il est loin d’être partout le meilleur possible, s’il n’a pas toujours profité à la cause de la liberté, tend généralement à donner satisfaction aux aspirations des sociétés modernes vers la démocratie. Suivre ce mouvement en le réglant de façon à éviter les secousses trop brusques, satisfaire aux besoins et aux droits des masses laborieuses sans mettre les destinées de la nation à la merci d’une foule mobile et dénuée d’instruction, conserver aux classes éclairées l’influence sans laquelle le monde serait menacé de retomber dans la barbarie, empêcher enfin les intérêts matériels de devenir brutalement prépondérans dans la société au détriment des lois impérissables de la justice et de la morale, — voilà le problème que l’Angleterre s’applique à résoudre aujourd’hui.

Les difficultés d’une telle entreprise, au succès de laquelle s’associent par leurs vœux tous les amis de la liberté, ne peuvent être bien comprises que par ceux qui ont observé à fond l’état social et les mœurs d’un pays si différent des autres contrées de l’Europe. Cette longue et difficile étude d’un peuple sérieux doit être faite sérieusement et avec une entière liberté d’esprit. Qu’on ne se hâte pas de juger l’Angleterre d’après quelques vulgaires apparences ; il ne faut pas croire qu’on a compris ses lois lorsqu’on a ri dans Chancery-Lane de la perruque des avocats, ni supposer que ses institutions religieuses se résument en ceci, qu’il faut se contenter de pain rassis le dimanche.

Claude Lorrain disait que la chose la plus importante pour un paysagiste est de savoir s’asseoir. C’est surtout avant de se livrer à l’étude d’un pays de contrastes et d’anomalies comme l’Angleterre que le choix du point de vue est une affaire de première nécessité ; autrement comment se garantir des illusions qui seraient le résultat infaillible du moindre oubli des règles de cette perspective morale ? Supposons par exemple qu’après avoir vu un homme tel que