Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsqu’elle se redressa, si vous l’aviez aperçue, elle vous aurait plutôt fait peur que pitié ; ses yeux lançaient la foudre. Elle ne dit qu’un mot et d’une voix tellement étranglée que personne ne dut l’entendre :

— Misérable I »

Ce mot résumait tout ce que l’amour méconnu, la dignité froissée, la bonne foi trahie, l’honneur violé, engendrent de colère et de mépris. Jusqu’à l’instant fatal, elle s’était ingéniée à la justification de cet homme, et, s’il faut tout vous dire, elle espérait encore. Son cœur honnête et droit s’inscrivait en faux contre les apparences les plus accablantes. Des lueurs fantastiques lui traversaient l’esprit, lui montraient M. Marchal toujours fidèle, mais hésitant ou arrêté par quelque obstacle, ou conduit par de sots conseils à tenter une épreuve. Maintenant plus de doute : il trahissait un engagement tacite, mais sacré ; le mobile de sa désertion était ignoble entre tous ceux qui poussent l’homme à mal faire : l’intérêt, la basse cupidité, l’amour de l’argent ! Ah ! c’était trop d’infamie ! Elle aurait voulu le voir là pour lui porter la main au visage et lui arracher d’un seul coup toute l’estime qu’il avait volée !

Cette vigoureuse indignation lui fit du bien ; son visage reprit couleur en peu de temps ; elle devint plus vaillante que dans ses heureux jours. La passion la releva et la soutint. Il est très-positif qu’elle se mit à détester Marchai plus énergiquement qu’elle ne l’avait aimé. Or, dans nos mœurs, une honnête fille n’est pas plus autorisée à laisser voir son aversion que son amour. Toutes les passions lui sont également interdites ; il faut les comprimer coûte que coûte, l’explosion dût-elle vous faire sauter à la fin.

Déjà le cœur de Mlle Kolb bondissait à l’idée de revoir cet infâme professeur. Et comment éviter sa rencontre ? Il était le médecin de la maison, il épousait une amie de la famille ; on fréquentait exactement le même monde. Quel supplice de subir sa présence et de ne pouvoir lui dire son fait, car les comptes d’un certain genre ne se règlent guère devant témoins !

En attendant, la visite de Claire était imminente. Claire n’avait trahi personne, Adda ne lui avait pas confié ses secrets ; impossible de reverser sur elle l’iniquité de son mari. Et pourtant Adda se sentait toute froide pour cette amie d’enfance ; elle recula tant qu’elle put la nécessité d’embrasser Mlle Axtmann. Elle sut se soustraire à la visite des fiançailles ; elle eut l’art d’éviter le voyage de Hagelstadt au jour des noces ; pour l’avenir, elle s’en remettait aux soins de la Providence, sans négliger les petits Moyens qui ont cours en province. On sait presque toujours à quelle heure les gens se mettent