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en prononçant les paroles irrévocables qui unissent deux cœurs jusqu’à la mort. Le curé, qui devait son presbytère aux bontés de M. Axtmann, avait été longtemps le professeur des trois jeunes filles. Mieux que personne, il savait quelle âme délicate et tendre le mariage allait livrer au docteur Marchal. L’homme de Dieu se méfiait un peu de la science et des savants, ces destructeurs d’idoles. Il avoua ses craintes avec un tel accent de bonhomie, il recommanda si naïvement au mari les saintes ignorances et les respectables préjugés de sa femme, que Marchal l’aurait embrassé, s’il ne l’avait pas vu barbouillé de tabac jusqu’aux yeux. Les ouvriers de la fabrique avaient mille raisons de respecter et d’aimer la famille Axtmann. Le chef était un de ces manufacturiers alsaciens qui exercent paternellement le patronage et pèsent dans une juste balance les droits du capital et ceux du travail. Ajoutez que le docteur n’arrivait pas en étranger dans cette colonie. Hommes, femmes, enfants, presque tous avaient eu affaire à lui et connaissaient par expérience son dévouement et son respect pour la pauvre machine humaine. Ces bonnes gens se mirent en quatre pour embellir la fête de famille où ils étaient conviés. Le patron leur donnait un bal, ils rendirent un concert ; on leur offrait le dîner, ils fournirent le feu d’artifice, et ainsi la sainte égalité se maintint jusqu’au bout entre le travail et le capital.

La fine fleur de Strasbourg partagea, bien entendu, les plaisirs de cette journée. On n’avait eu garde d’oublier la pauvre chère Blumenbach ; mais Claire déplora avec un véritable chagrin l’absence de son Adda. Le chanoine et sa femme arrivèrent dès le matin, et encore je ne sais qui de leur maison ; Mlle Kolb, qui devait être demoiselle d’honneur, s’excusa par un mot de lettre. Elle avait, disait-elle, une migraine à mourir. Et sans doute elle ne mentait pas, car son écriture (Claire en fit la remarque) était toute brouillée. Henri Marchal entendit conter cette histoire, et n’y prêta pas plus d’attention qu’au ronflement de l’orgue et au froufrou des fusées. Sa grande affaire était la chaise de poste qui devait l’emporter avec sa femme à neuf heures du soir.

Il avait un congé d’un mois ; le couple en profita pour visiter l’Allemagne. Ces voyages de noces sont charmants, quoiqu’on en tire généralement peu de profit. Vous traversez les cathédrales, les tables d’hôte et les collections de tableaux sans voir autre chose que vous-mêmes. C’est en vain que le panorama le plus riche et le plus varié se déroule au fond du théâtre ; l’attention des spectateurs est concentrée sur un petit personnage, l’amour, qui à lui seul remplit le premier plan. Quand les époux Marchal revinrent à Strasbourg, ils n’étaient peut être pas très— ferrés sur la galerie