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notamment la difficulté des transports, n’y ont point fait obstacle, les massifs ont été dévastés sans qu’on ait pu ou peut-être songé à s’y opposer. Quelques-uns ont été d’abord préservés parce qu’on les croyait hantés par les esprits. Cette crainte était telle que, lorsqu’il s’agit d’en commencer l’exploitation, aucun indigène ne voulut y prendre part, et qu’il fallut recourir à des ouvriers chrétiens moins superstitieux. Une autre cause de destruction résulte des incendies dus soit à l’imprudence des voyageurs qui négligent d’éteindre les feux de leurs campemens, soit à la combustion spontanée produite par le frottement des bambous, soit enfin aux tribus nomades qui dans les montagnes allument les herbes afin d’amender le sol par les cendres et d’accroître ainsi la production de l’année suivante. « Au commencement de ce siècle, dit M. Cleghorn, une immense forêt presque vierge couvrait la chaîne occidentale des Ghattes[1] depuis l’embouchure des fleuves jusqu’aux sommets les plus élevés des montagnes ; abandonnée à la nature, elle était remplie d’animaux sauvages et peuplée d’arbres magnifiques. Aujourd’hui le voyageur qui du haut des pics promène ses regards sur les plaines du Malabar voit bien encore se dérouler à ses pieds une forêt immense ; mais, s’il vient à descendre, il s’aperçoit que les plus beaux arbres ont été abattus, et que les entrepreneurs et les marchands ont exploité les essences les plus précieuses jusque dans les lieux les moins accessibles. La hache du planteur de café et le kumari font des vides qui s’étendent tous les jours. »

Le mode de culture qu’on appelle kumari dans le Malabar et toungya dans la Birmanie est désastreux pour les bois. Pratiqué d’abord par les tribus sauvages qui habitent les jungles, il s’est étendu jusque chez les paysans (ryots), et aujourd’hui il est généralement répandu. Il consiste à défricher une certaine étendue de forêt, autant que possible sur les flancs d’une colline, à laisser sécher les bois sur place jusqu’en mars ou avril et à y mettre le feu. On laboure alors légèrement le sol pour enterrer les cendres, et l’on sème soit du riz, soit du millet au moment des premières pluies. La moisson, qui se fait vers la fin de l’année sans avoir nécessité d’autre culture que le sarclage des herbes, donne un rendement double de celui qu’on obtient par les procédés ordinaires. La seconde année produit encore une récolte, quelquefois même la troisième, après quoi la place est désertée et abandonnée aux jungles, qui ne tardent pas à l’envahir de nouveau. Dans les parties où les terres sont peu abondantes eu égard à la population, on

  1. Cette chaîne s’étend le long de la côte du Malabar et sépare le plateau central des contrées basses qui bordent la mer ; elle prend différens noms, suivant les localités qu’elle parcourt, mais Ghattes est le nom générique.