Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respects ne vous permettent pas de devenir mon gendre, mais je vous invite à voir en moi un beau-père spirituel, etc. » Ce n’était ni un Leblois, ni un Colani, cet honnête chanoine Kolb, et l’éloquence de nos pasteurs a fait de grands progrès depuis son règne. Il termina sa petite allocution par des conseils paternels et maladroits, comme ceux-ci, par exemple : « La compagne qu’il vous faut, c’est une demoiselle de trente à trente-deux ans, mûrie par la réflexion solitaire, ou une jeune veuve exercée d’avance aux soins du ménage et à l’éducation des enfants. Cherchez dans ces deux catégories de personnes, et surtout décidez-vous promptement, car chaque année qui s’écoule vous précipite vers la vieillesse. » Le docteur écouta poliment ces exhortations, mais il ne les trouvait pas obligeantes, et la sagesse de son beau-père manqué lui donnait un peu sur les nerfs.

Il demanda si le chanoine avait l’intention de confier cette affaire à Mlle Adda ? « Non, répondit le père de famille ; il ne convient pas d’éveiller l’imagination des enfants par des confidences de ce genre.

— Cependant si elle s’étonnait de ne plus me rencontrer chez ses parents ? Je tiens beaucoup à conserver l’estime d’une personne si accomplie et si chère.

— Ma fille est trop bien élevée pour s’adresser des questions indiscrètes : elle s’apercevra de votre absence, il se peut même qu’elle ressente momentanément quelque ennui ; mais le temps remplira bientôt son office providentiel, puis un amour honnête et permis remplacera avantageusement des rêveries sans consistance, et enfin dans quelques mois il n’y aura pas d’inconvénient, monsieur Marchai, à ce que vous veniez rompre le pain avec nous. »

Une si dédaigneuse sécurité poussa le dépit du docteur à l’extrême. Il souffrait vivement, et, comme tous ceux qui font métier de l’analyse, il se dédoublait en quelque sorte pour se regarder souffrir. Il remarqua que la réponse du tumeur l’avait laissé dans un état d’accablement comateux et que les conseils du chanoine le jetaient dans une fureur ataxique. Depuis la visite de M. Kolb junior jusqu’à la nuit, il se démena violemment, forma mille projets, et fut en proie à je ne sais combien d’idées et de sentiments contradictoires. Il se dit, entre autres choses, que les Kolb étaient bien heureux d’être tombés sur un homme délicat jusqu’à l’absurde ; « car enfin s’il me plaisait de passer outre et d’en appeler directement à l’affection d’Adda ? Elle ne me voit pas d’un mauvais œil, ils en conviennent ; peut-être n’y aurait-il plus grand effort à faire pour transformer cette bienveillance timide en véritable amour. Et alors elle ouvre son cœur à ses parents, qui n’en tiennent compte ;