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s’éveille et que la conscience lui revient, sa voix indécise et flottante s’accentue ; aux chagrins du père, aux désespérances du mari, succèdent les troubles et les remords du souverain, tout cela merveilleusement exprimé par le maître et rendu par l’interprète avec un art qui touche à la perfection. M. Obin est là du reste ce qu’il est du commencement à la fin dans ce rôle de Philippe II, dont il a fait par son talent, je ne dirai pas la principale figure de l’ouvrage, cela va de soi, mais celle sur qui se concentre tout l’intérêt. Ce n’est pas, comme on l’a écrit un peu naïvement, « un portrait descendu de son cadre ; » c’est le résumé vivant d’une lecture d’Antonio Perez. Il me rappelle Rouvière dans Charles IX, avec plus de sérieux, de contenu. Jamais l’art de la composition ne fut poussé plus loin. L’histoire revit sous vos yeux au physique comme au moral. Comment en arrive-t-on à pénétrer si avant dans le caractère et dans la peau d’un homme, mort depuis des siècles ? Il se peut que M. Obin ait tout lu, tout étudié, il se peut aussi que la simple vue d’un portrait ait suffi pour l’instruire et l’amener à ce degré d’exactitude où nous le voyons, et encore ce portrait, l’a-t-il seulement jamais vu, ce portrait qui faisait dire à Titien parlant à son royal modèle : « Sire, votre majesté est elle-même une cérémonie ? »

N’importe, l’évocation est complète ; pas une nuance ne manque, physionomie et caractère, vous avez l’homme devant vous. Plus d’hésitation que de méchanceté, de crainte que de cruauté originelle. Nature atroce, dont la faiblesse et la terreur forment la base ! Dans cette scène du quatrième acte, M. Obin réussit presque à vous apitoyer sur l’horrible personnage, tant il le montre mélancolique et désolé au fond de son palais-prison. Sa voix, son geste, son regard, expriment un découragement, une lassitude, une langueur inéluctables. Impossible de mieux faire voir le néant où tant d’Iniquités mènent un homme, et l’art dramatique élevé à cette hauteur devient un véritable enseignement moral. Je constate la même supériorité d’interprétation dans le dialogue avec l’inquisiteur, morceau bruyant et lourd, tirade de tragédie classique déclamée sur des harmonies incohérentes. Plusieurs, croyant louer ce faux sublime, se sont écriés dans le ravissement : « C’est du Wagner ! » ne soupçonnant sans doute point quelle épigramme ce bel éloge de la copie contenait à l’adresse de l’original. M. Obin a par instans des échappées d’impatience d’une vérité parfaite ; son « tais-toi, prêtre ! » il le dit à merveille. J’admire ce mélange de ruse et d’irritation, de soumission et de révolte, puis partout une calme et altière dignité, les plus grandes façons !

Je ne veux point, croire qu’en traçant cette sombre figure de moine M. Verdi ait songé aux couvens de Borne ; personne à coup sûr moins que le cardinal Antonelli ne ressemble à cet inquisiteur fanatique et aveugle d’esprit comme de corps. Et cependant ce sujet de Don Carlos, c’est M. Verdi qui l’a choisi, voulu. « Pourquoi, parmi tant d’autres pères que je pouvais avoir, le ciel m’a-t-il donné justement celui-là ? » s’écrie le héros