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odieux, pour se couvrir d’opprobre à plaisir et décourager par l’excès de sa honte l’amour de Camille, jusqu’à ce que ce dévouement qui confond Mme Aubray lui arrache ce cri : « Elle ment, mon fils, épouse-la. »

Nous sommes touchés, mais nous ne sommes pas convaincus, et M. Dumas s’en doute bien. La victoire de Mme Aubray est de celles qui coûtent plus cher qu’une défaite, et que le vainqueur est bientôt réduit à déplorer. Qu’on ne s’y trompe point d’ailleurs, ce qui nous trouble, ce n’est pas cette révolte contre l’opinion vulgaire. On sait assez ce que valent les jugemens qu’elle porte. Si elle attache injustement une marque indélébile à certains malheurs, on a bien le droit, nous ne le nions pas, de n’en tenir aucun compte et d’introduire à ses risques et périls dans une famille honnête une femme dont la chute paraît suffisamment rachetée par le repentir et la douleur. Il est permis, quoique périlleux, de chercher le bonheur et la vérité en dehors de l’opinion, et il n’est pas impossible qu’on les trouve ; la solitude et l’oubli qu’elle ne refuse à personne seront du moins un rempart contre ses injustices. Seulement il faudra, si l’on prétend à l’indépendance, renoncer du même coup à l’autorité, et nous ne songerions pas à faire un crime à Mme Aubray de cette abdication ; mais il est un joug plus difficile à secouer que celui de l’opinion, des lois plus inflexibles encore que les lois du monde, ce sont celles du cœur humain. Il a sa voix qu’on ne peut éteindre et ses réclamations auxquelles on ne donne point le change. L’infortunée qui a failli comme Jeannine et qui, pendant de longues années, a vécu dans la faute, tranquille et sans remords, peut-elle, aussi purifiée qu’on le voudra, devenir la femme d’un homme d’honneur ? Maintenant que la lumière s’est faite dans sa conscience et qu’elle peut mesurer l’abîme d’où elle vient de sortir, acceptera-t-elle la situation qu’il lui offre et se chargera-t-elle de son bonheur ? Il y a ici, prenez-y garde, un de ces nœuds qu’on ne tranche point par un coup d’audace. S’il ne s’agit que de natures vulgaires, rien de plus simple ; tout entières à la passion qui les domine, elles se précipiteront tête baissée dans le malheur, dans la honte peut-être ; que leur importe, pourvu qu’elles passent par le plaisir ? Cette résolution qu’on nous donne pour un dévouement est tous les jours sous nos yeux le dernier acte de la dégradation. S’il s’agit de deux caractères comme ceux qu’on peint ici, leur délicatesse et leur fierté même les privent de cette ressource et les condamnent à souffrir. Ils pourront fuir le monde et ne chercher le bonheur qu’en eux-mêmes, peut-être même leur amour fatiguera-t-il à la longue les sévérités de l’opinion et finira-t-il par triompher. du blâme et de l’ironie publique ; mais leur cœur parlera, et ils n’échapperont pas à l’implacable obsession du souvenir. Ils ne se déroberont pas, elle au sentiment du pardon éternel dont elle a besoin, lui à l’amertume de ses vains efforts pour faire oublier à celle qu’il aime une irrémédiable infériorité. S’ils pouvaient jamais recouvrer une pleine sécurité et jouir en paix d’un bonheur acheté d’un tel prix, ils n’auraient pas la délicatesse qu’il vous a plu de leur prêter, ou ils ne seraient pas faits de chair et de