Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’était donnée. Enfin, vers trois heures, il prit son courage à deux mains, et marcha d’un pas décidé jusqu’à la maison du chanoine ; mais, au moment de saisir le marteau, il se dit que M. Kolb ne serait pas seul, qu’Adda pouvait être au logis, ce qui rendrait la démarche inutile, que d’ailleurs il y avait une certaine brutalité à dire au père lui-même, de but en blanc, sans préparation : « Donnez-moi votre fille ! » N’était-il pas plus convenable de prendre un biais et d’aborder la question par le côté, en tâtant le substitut Miller, ou M. Kolb aîné, le gros tanneur, ou un autre parent de la jeune personne ? Ce parti lui parut le meilleur, parce qu’il reculait la difficulté de quelques pas. Tandis que M. Marchai s’apprêtait à rebrousser chemin dans la direction de la tannerie, le tanneur, qui avait dîné chez son frère, sortit la pipe à la bouche et s’écria joyeusement : — Eh ! professeur Marchai I vous étudiez donc l’architecture à présent ? À votre aise ! Cette maison-ci est la plus vieille, mais aussi la plus solide et la plus belle du chapitre de Saint-Thomas.

— Monsieur Kolb, balbutia le docteur, je ne voyais pas la maison, je ne regardais qu’en moi-même. Oui, j’étais et je suis encore dans une grande perplexité. Vous arrivez, tant mieux, quoique je ne sache pas trop par où commencer ce que je vais vous dire ; mais je pensais justement à vous faire une visite. Il n’y a plus à reculer, je sens que le moment est venu. Avez-vous un quart d’heure à perdre, et voulez-vous que nous fassions un tour ensemble ? »

Le sage et respectable tanneur ne dit pas non. Toutefois son front se rembrunit : « Je suis à votre service, répondit-il, et plaise à Dieu que je trouve une occasion de vous servir ! »

Il prit le bras de M. Marchal et se promena quelque temps avec lui en fumant sa pipe.

— Cher monsieur Kolb, la chose dont je voulais vous parler me concerne moi-même et une autre personne que vous connaissez bien : Mlle Adda.

— Oui, oui, fit le gros homme d’un ton qui voulait dire : Voilà ce que je craignais. Le docteur poursuivit :

— J’espère que la famille n’a pas pris en mauvaise part mes assiduités/

— Non ; la maison est ouverte à tous les honnêtes gens, et ceux qui vous ressemblent font honneur à mon frère et à nous.

— C’est que… j’en suis désespéré… mais les mauvaises langues de la ville se sont donné le mot pour…

— Laissez-les dire, monsieur le docteur, et allez droit votre chemin.

— Mais Mlle Adda est bien jolie !