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les travaux inaccessibles à la foule, d’où il résulte que les autres, ayant devant eux le champ libre, sont plus exposés aux écueils de leur propre genre, — car chaque genre a ses écueils, et la littérature indiscrète, on voudra bien en convenir, n’est pas plus à l’abri du péril que la littérature académique. C’est fort mal fait d’ennuyer les honnêtes gens, c’est plus mal fait encore d’exciter chez eux des sentimens de dégoût.

Nous n’avions pas besoin de ce préambule pour signaler à nos lecteurs un petit nombre d’ouvrages récemment publiés, qui continuent avec honneur la tradition des hautes lettres et qui s’adressent en même temps atout esprit bien fait ; ne semble-t-il pas néanmoins que ce mélange de charme et de solidité, de valeur morale et d’agrément littéraire, offre aujourd’hui un intérêt particulier ? Le livre que M. Gandar a publié sous le titre de Bossuet. orateur est une œuvre excellente de tout point, une œuvre où l’importance des résultats est rehaussée par la sûreté des recherches et la nouveauté des faits. Oui, tout est neuf dans ce livre. Ne dites pas à première vue, et en jugeant l’ouvrage d’après l’étiquette, qu’il n’est guère possible d’apporter aujourd’hui quelque chose de nouveau sur l’éloquence de Bossuet, tous les maîtres de la critique ont passé par ces routes royales, et dans ce concert de louanges une voix de plus ne serait point écoutée. Le titre que je viens de transcrire est donc trop général ; le sous-titre[1] indique le sujet particulier où s’est portée avec toutes ses forces la méthode exacte, la science précise, la pénétration littéraire et morale de l’auteur. À vrai dire, c’est l’initiation de Bossuet au grand art qui est exposée ici avec l’intérêt des plus précieux détails ; il s’agit de la jeunesse du puissant maître, il s’agit des essais, des occasions, des inspirations diverses qui ont formé cette voix incomparable. Certes, s’il y a un homme qui soit ne orateur, c’est l’auteur du Panégyrique de saint Paul ; mais, quels que soient ces dons de nature, le développement de la vie intérieure et les influences du dehors peuvent seuls expliquer les chefs-d’œuvre du génie. La critique du XIXe siècle ne nous permet plus d’accepter en aveugles ces gloires d’autrefois qui ressemblaient à des légendes, ces demi-dieux de la pensée et de la parole qui naissaient tout armés, ces monumens qui apparaissaient soudain au milieu des peuples éblouis. Elle s’approche, elle examine, elle mesure ; dans l’œuvre même des six jours, la science n’a-t-elle pas découvert le long travail des siècles ? Ainsi fait la critique ; elle voit les essais, les tâtonnemens, elle marque les phases successives de la vie là où on ne savait autrefois que prendre les choses en bloc. Pour appliquer cette méthode au génie oratoire de Bossuet, il fallait commencer par rétablir le texte de ses sermons. On sait avec quelle ardeur Victor Cousin a renouvelé l’étude du XVIIe siècle par son Rapport sur les Pensées de Pascal ; ce n’est pas aux lecteurs de la Revue qu’il est nécessaire de

  1. Bossuet orateur, études critiques sur les sermons de la jeunesse de Bossuet (1643-1662), par M. E. Gandar, 1 vol. in-8o ; Paris, 1867. Didier.