Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/754

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les concilier dans un compromis ? Pas plus qu’il n’est possible de rendre fixe ce qui de sa nature est aléatoire. En réalité, le salaire est une valeur qui suit les fluctuations du marché et ne se prête guère à de longs engagemens. Aucune des parties n’aliénerait la faculté d’agir à sa guise dans des circonstances voulues. Les Anglais, qui sont nos maîtres en ces matières, ont depuis longtemps imaginé et poursuivi des projets d’entente entre les patrons et les chefs des unions d’ouvriers. Ils ont constamment échoué, et ces échecs étaient dans la force des choses. Il s’agissait pourtant d’un bien sans lequel en industrie tout est précaire, la sécurité ; personne n’a voulu y mettre le prix. Depuis lors, de part et d’autre, on en est revenu à la liberté des mouvemens mitigée par de certaines convenances. Ainsi les prétentions sont aujourd’hui moins âpres, les actes empreints de moins de brutalité ; sans renoncer au droit d’agitation, les ouvriers l’exercent plus galamment, sans embûches ni surprises. Presque toujours un délai est accordé au fabricant pour qu’il puisse mettre ses prix de vente en rapport avec les nouvelles conditions qu’on lui impose. Une sorte de droit des gens s’est établi de la sorte dans des conflits qui ne semblaient susceptibles ni de justice ni de règle, et les entrepreneurs ne se refusent plus à traiter au jour le jour avec des groupes que les avantages d’une action commune ont disciplinés. En France, il y aurait un pas à faire par l’introduction de ces procédés, ainsi que par la création dans les divers corps d’état d’une représentation à titre officieux. Les fabricans auraient alors en face d’eux des délégués régulièrement élus, et non cette multitude turbulente qui est aussi incapable d’exposer clairement ses prétentions que prompte-à les appuyer par des actes de violence.

Sur un autre point, dans le même ordre d’idées, nos ouvriers feraient bien de prendre exemple sur leurs voisins. Si fortement animés qu’ils soient, les Anglais s’arrêtent toujours à la limite où l’industrie mise au ban aurait trop à souffrir de leurs sévices : c’est leur nourrice après tout, ils se garderaient de tarir ses mamelles. De là un soin extrême à mesurer les exigences du tarif, quand le cas se présente, sur les facultés démontrées de la fabrique, en restant en-deçà plutôt que d’aller au-delà. Ces calculs d’ailleurs sont des plus précis ; on dirait que les ouvriers ou leurs chefs du moins ont pénétré les secrets des inventaires. A un centime près, ils savent ce que coûte le produit, quel profit il donne et ce qu’on peut prélever dessus sans pousser les choses jusqu’à l’exaction, ni amener des représailles. par le même motif, ils ont supprimé les alertes trop fréquentes, et laissent jouir d’une sécurité relative les patrons avec lesquels ils ont traité. Point d’étourderies ni de fanfaronnades,