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salaires, et qui, venue tard, s’en dédommagera par la permanence. Tout donne lieu de croire que cette guerre aura son art et sa tactique ; déjà des échantillons en ont passé sous nos yeux. Il y a d’abord un fonds de campagne à faire au moyen de l’épargne ou de l’emprunt, et quand ce fonds est fait, il reste à saisir l’occasion d’amener le plus tôt et à moins de frais possible la partie adverse à composition. Le choix de cette occasion est un point décisif dans la loterie des grèves : ce sera ou une commande pressée, ou une exposition imminente, ou un retour de saison, peu importe, pourvu que la place capitule avant que les munitions des assiégeans soient épuisées. Comme dernière ressource, on a l’appel à des subsides extérieurs. Voilà comment, du côté des ouvriers, se conduit la guerre des salaires, et jusqu’ici le procédé leur a réussi : ils y ont mis le temps et l’argent qu’il fallait outre la plus grande des forces, la force d’inertie. Peu de violences, si ce n’est tout récemment, mais alors des violences sauvages et le réveil des mauvais instincts. Quant aux chefs d’industrie, leur seule tactique, à ce qu’il semble, est de céder toujours ; ils comptent sur la lassitude des vainqueurs. Le calcul pèche par la base, et si les ouvriers continuent d’agir de concert, il faudra bien aussi que les patrons s’entendent pour une défense commune ; autrement de concession en concession ils arriveraient à la limite où il faut faire face sous peine de périr.

Cette guerre des salaires aura des trêves plus ou moins longues, mais il est dans sa nature de couver toujours et de surprendre par des éruptions soudaines les villes d’industrie qui auront le plus de motifs de la croire éteinte. Tant de causes peuvent la rallumer, ici la misère, là l’esprit d’imitation ou de calcul, ailleurs des rancunes privées ! Faut-il regretter que cette guerre ait été déchaînée ? Non, car elle est l’effet et le signe de l’exercice d’une liberté, et il n’est pas de liberté qui n’ait ses charges et ses périls en même temps que ses bénéfices. L’heure est proche où un peuple jaloux de compter dans le monde devra les supporter toutes et dans toutes leurs conséquences. On a dit du pouvoir qu’il n’est pas un siège pour le sommeil, il en sera un jour de même de tous les modes de l’activité humaine et en particulier de l’industrie : entre ceux qui commandent le travail et ceux qui l’exécutent, il y aura un compte toujours ouvert et de perpétuelles revendications. C’est de l’agitation sans doute et de l’agitation périodique, mais il faut bien s’y accoutumer ; les agitations de la liberté sont plus saines en tout cas que les langueurs du despotisme. Ces agitations d’ailleurs tendront à décroître à mesure que les privilèges de position auront disparu, comme le flot se calme quand l’obstacle est brisé.

Maintenant est-il possible d’amortir ces chocs d’intérêts et de