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simples globules verts se préparaient à recouvrir la terre entière. Ce fut là un moment solennel à coup sûr, alors que la vie végétale, que tout un règne en réalité s’apprêtait à sortir d’une microscopique cellule. Cette cellule, qui à son origine vécut seule, forma d’abord par juxtaposition des filamens tubulaires, et plus tard, se multipliant par elle-même, donna lieu à des agglomérations immenses, à des amas incalculables de fucus qui flottèrent bientôt sur la surface de l’océan universel. Puis la terre apparut, et déjà ses sommets portés à la lumière étaient recouverts de limon, c’est-à-dire d’une couche première d’humus provenant de la décomposition des algues immenses qui remplissaient la mer. Et ce ne furent pas seulement les algues d’eau salée qui commencèrent cette œuvre de procréation, ce furent aussi les algues d’eau douce qui, envahissant d’abord les marécages, puis les lacs et plus tard les eaux courantes, jetèrent partout le fondement de cette terre végétale sur laquelle se développèrent successivement les cryptogames d’ordre supérieur et tout l’embranchement des phanérogames. Aujourd’hui encore les algues continuent à couvrir le fond des mers et des lacs de féconds détritus qu’utiliseront ultérieurement des générations successives de végétaux. Indépendamment de ce rôle, dont le bénéfice entier revient à l’économie générale du globe, elles ne laissent pas d’avoir une utilité pratique et immédiate pour les âges contemporains. On ne connaît pas d’algues vénéneuses[1], et parmi les espèces marines il en est plusieurs qui fournissent à l’homme, les unes d’abondantes ressources alimentaires, les autres des substances que l’industrie utilise sur une vaste échelle. Les fucus en particulier se prêtent à des usages fort divers, parmi lesquels figure en première ligne la production de la soude et de l’iode. Les élégantes céramies, improprement appelées mousse de Corse, passent depuis des siècles pour un des meilleurs vermifuges, et ce sont encore certaines espèces d’algues qui fournissent aux salanganes la matière gélatineuse dont se composent leurs nids, si recherchés en Chine comme objet d’alimentation. Les conferves, loin d’ajouter à la fétidité des marais qu’elles remplissent, non-seulement dégagent de l’oxygène et conséquemment assainissent l’atmosphère, mais encore exhaussent rapidement les fonds vaseux et concourent ainsi à leur dessèchement. C’est particulièrement au sein des grandes mers qu’il faut étudier les algues, si l’on veut se faire une idée de leur importance en même temps que de la puissance de leurs agglomérations. Par masses énormes et semblables à des îles flottantes, elles voyagent, tantôt à l’aventure, tantôt pous-

  1. Une restriction importante, parait-il, est à faire ici. Il résulterait des observations toutes récentes de savans autorisés que les spores des algues à l’époque de la fécondation peuvent occasionner des fièvres paludéennes.