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l’époque géologique actuelle. Déjà depuis longtemps on avait retiré de ces dépôts des fossiles d’espèces animales éteintes, quand en 1841 un, savant d’Abbeville, M. Boucher de Perthes, fit part de la découverte qu’on venait de faire à Menchecourt, près de cette ville, dans des sables dépendant du même étage terrestre, d’un silex grossièrement taillé, mais portant la marque incontestable de la main de l’homme. Des trouvailles semblables se répétèrent les années suivantes ; des pierres taillées paraissant être des armes ou des ustensiles furent notamment déterrées avec des débris paléozoïques au lieu dit le Champ-de-Mars, à Abbeville. Les haches en silex qui y étaient enfouies se distinguaient par la rudesse du travail de celles en pierre polie et habilement façonnées que les antiquaires ont baptisées du nom de celts, tiré du nom latin celtes. Frappé de cette rencontre, et convaincu qu’on avait mis au jour des monumens de la plus ancienne société, remontant bien au-delà des âges historiques, le savant abbevillois fit paraître en 1846 un ouvrage intitulé l’Industrie primitive, dont les données étaient empruntées aux découvertes opérées dans sa province. Un an après, dans ses Antiquités celtiques et antédiluviennes, il émettait, à l’appui de l’opinion qu’il avait dès lors conçue de la contemporanéité de l’homme et de la période géologique qui a précédé la nôtre, des vues ingénieuses et hardies ; mais ces vues ne rencontrèrent généralement que l’incrédulité. M. Boucher de Perthes n’avait pas toujours été d’une sévérité suffisante pour admettre l’authenticité des trouvailles dont il parlait ; tous les silex qu’il avait collectionnés n’étaient pas également probans. Cela suffit pour qu’on ne s’attachât pas sérieusement à examiner sa thèse.

Au reste sa doctrine s’était déjà produite, mais plus timidement. Elle était professée dans une brochure de M. Melleville imprimée en 1842. Deux ans après, en 1844, un naturaliste et antiquaire du Puy, M. Aymard, ayant observé sur le versant sud-ouest de la montagne de la Denise, près de cette ville, dans un bloc de rocher igné, des ossemens humains, et rencontré sur la côte est de la même montagne, dans des brèches identiques à celle qui renfermait des débris de notre espèce, des restes de grands mammifères, éléphans, rhinocéros, mastodontes, en induisit que l’homme, pourrait avoir été contemporain de ces animaux. En 1853, une découverte faite à Saint-Acheul, près d’Amiens, apportait à la thèse de M. Boucher de Perthes une confirmation qui la vengea de l’injuste dédain avec lequel elle avait été reçue. Des haches et des objets en pierre taillée furent trouvés engagés dans le même dépôt de gravier et de sable (drift), qui contenait des fossiles d’elephas primigenius, de rhinocéros tichorhinus, de bos primigenius, et en général d’espèces caractérisant la faune quaternaire.