Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui donne à notre armée son maximum de valeur. Et puis la guerre a des rigueurs inégales; même en un jour de victoire, une division essuie des pertes considérables, un régiment peut être anéanti : à Eylau, tous les officiers du 14e de ligne furent tués, et le corps d’Augereau était tellement réduit, que l’empereur dut le dissoudre. Se figure-t-on les conséquences d’une calamité pareille frappant un régiment départemental, un corps d’armée recruté dans une seule région! Mais, répondra-t-on, voyez la Suisse, l’Autriche, la Prusse. La Suisse est liée dans l’organisation (si remarquable du reste et si digne d’étude) de sa milice par sa constitution fédérative ; sous une autre forme, on en peut dire autant de l’Autriche; quant à la Russe, il n’est pas certain qu’elle n’augmenterait pas encore la puissance de son armée en mêlant par exemple les robustes habitans de la Poméranie ou du Brandebourg avec les hommes levés dans les régions industrielles; elle est d’ailleurs placée dans des conditions exceptionnelles par la composition de son corps d’officiers et par le genre d’aptitude militaire propre à la race allemande. L’armée française aussi a son caractère particulier qui mérite d’être conservé; rien de ce qui se passe au dehors n’indique la nécessité de modifier une organisation consacrée par l’expérience de la guerre comme par celle de la paix, et qui s’adapte si heureusement au tempérament national.

L’adoption momentanée du système départemental avait cependant eu, comme nous l’avons indiqué, un résultat: elle avait facilité le classement du nombreux personnel que la catastrophe de 1815 laissait sans emploi; les rigueurs injustes et les froissemens de la « demi-solde » furent atténués; beaucoup d’officiers purent être relevés de la position qui leur avait été d’abord si durement imposée. Après la violente réaction des premiers jours, malgré quelques retours fâcheux et de regrettables exceptions, le gouvernement de la restauration se montra généralement équitable dans la distribution des emplois militaires; mais il ne put échapper à tous les embarras. Les grandes promotions de 1809 et de 1813, le retour des émigrés, les fournées de sous-lieutenans qui avaient rempli la maison rouge de 1814, chargeaient les cadres d’un poids assez lourd. Si l’on peut faire remonter à ces origines diverses quelques-unes des plus illustres carrières dont s’honore notre armée, il faut reconnaître que des créations aussi soudaines, aussi vastes, aussi peu préparées, n’avaient pas pu donner des choix également bons, et qu’elles avaient légué un véritable encombrement. Le contre-coup s’en faisait ressentir encore après la révolution de juillet, et ce n’est qu’au bout de vingt ou de vingt-cinq ans que la France put recueillir tous les avantages des règles que Saint-Cyr, dans la loi de 1818 et dans les ordonnances subséquentes, avait posées