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importait le plus de s’unir contre l’ennemi commun, les dissensions religieuses se joignent aux troubles civils pour achever de l’affaiblir. Non-seulement les partisans du christianisme se séparent de ceux de l’ancien culte, mais entre eux les chrétiens ne s’entendent guère. Les discussions politiques se compliquent et s’enveniment de controverses de théologie. Chaque parti prêche la tolérance quand il est vaincu, et persécute dès qu’il devient le maître. La guerre est partout, dans chaque cité, dans chaque famille. On discute sans fin, les forces qui devaient être entières pour l’action se perdant dans des querelles de paroles. Avec Théodose, le pouvoir civil se met ouvertement au service des passions religieuses; une croyance devient un crime d’état; des guerres sont entreprises dans un intérêt de propagande. Certes le paganisme triomphant n’aurait pas sauvé l’empire, mais il est bien sûr que la victoire du christianisme l’a fait mourir plus tôt. Stilicon, qui pouvait retarder sa chute, coupable de tolérance, tombe sous les coups d’une conspiration catholique, et les évêques applaudissent à sa mort sans penser qu’elle est un désastre public. Quand Rome est prise et pillée par Alaric, un frisson de colère parcourt l’Italie au récit de ce grand outrage. La douleur, le désespoir auraient peut-être ranimé quelque énergie dans les cœurs et réveillé l’esprit national, si le christianisme les avait soutenus; mais il se souvint que Rome était restée le centre du vieux paganisme; il éprouva une joie maligne à voir que les maisons brûlées étaient surtout celles des défenseurs de l’ancienne religion; il ne fut pas insensible aux prévenances des Goths, qui avaient respecté le tombeau de Pierre au Vatican et celui de Paul sur la voie d’Ostie, et il se contenta de tirer de ce malheur, dont frémissait tout l’empire, quelques leçons de morale.

La douloureuse sympathie que M. Amédée Thierry accorde à ce monde ancien qui s’écroule n’empêche pas que, dans ses récits, l’intérêt ne s’attache surtout à ceux qui commencent un monde nouveau et auxquels appartient l’avenir, aux chrétiens et aux barbares. Le christianisme ne parvient pas alors à ranimer l’empire, comme les évêques l’avaient imprudemment annoncé, comme on l’espérait au temps de Constantin; il prend même bien vite son parti de sa ruine, parce qu’il est assuré de lui survivre; mais il n’en est pas moins la force la plus vivante à cette époque, et c’est encore lui qui produit les plus grands personnages et les plus fermes caractères. La vieille sève païenne est épuisée; elle ne fournit plus que quelques littérateurs agréables et des grands seigneurs mécontens. Les hommes d’action sortent presque tous du christianisme. Quelle énergique figure que celle de Jean Chrysostome, et comme elle ressort au milieu de cette cour de chambellans et d’eunuques tremblant sous la main d’un favori, tout occupés d’intrigues ténébreuses, noyés dans les minuties d’un cérémonial pompeux et vide! M. Thierry nous a dépeint ce tribun au corps chétif, au teint jaune, avec ses yeux brillant d’un feu intérieur, lorsque, dans son ardent amour pour les classes misérables, il venait soulever en