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vers cette maturité brillante qu’embellit l’éclat des lettres et des arts, et qui a fait jouir le monde de la plus longue paix qu’il ait connue. Il est pénible d’assister à la fin d’un peuple dont on vient d’admirer la grandeur. Cependant, quand on lit les récits de M. Thierry, cette répugnance s’efface. La décadence de Rome ne ressemble pas à celle de certains états de l’Orient que nous voyons périr sous nos yeux. Ils s’éteignent dans une lente et morne agonie; ils se décomposent sans convulsions, presque sans bruit. Ils ne continuent à vivre que par la difficulté qu’on éprouve à les remplacer, car les peuples qui demandent à recueillir leur succession sont presque aussi malades qu’eux. Dans la ruine de l’empire romain, la vie au moins est à côté de la mort. On sent qu’un monde commence à la place du monde qui finit, et ce monde est le nôtre. Nous avons donc le plus grand intérêt à connaître de quelle manière il s’est substitué à l’autre, comment il l’a détruit et ce qu’il en a gardé. De plus cette substitution s’est accomplie d’une manière violente et par conséquent dramatique. C’est vraiment un drame, et des plus curieux, que la grandeur et la chute de ces favoris vulgaires qui passent sans transition de la domesticité du palais au pouvoir suprême, et dont les rivalités ouvrent l’empire aux barbares. Les péripéties n’y manquent pas. Nous ne sommes pas dans un de ces états bien ordonnés où les événemens suivent une marche naturelle. A la cour de ces despotes orientaux, où se croisent tant d’intrigues, où luttent tant d’influences obscures, on peut s’attendre à l’imprévu, et l’extraordinaire arrive tous les jours. M. Amédée Thierry n’a qu’à raconter les faits comme ils sont pour que ses récits ressemblent à des romans véritables. Je trouve même qu’il n’avait pas besoin de les rendre plus dramatiques encore en se servant avec tant de complaisance des vers de Claudien. C’était un poète trop nourri de rhétorique pour présenter les événemens comme ils s’étaient passés. En traversant cette imagination obsédée par les souvenirs antiques, ils doivent prendre des couleurs fausses, et peut-être convenait-il de s’en défier un peu plus que ne l’a fait M. Thierry.

Un des mérites principaux des récits de M. Thierry, c’est l’impartialité de l’auteur; il fait à tous bonne justice. Dans cette lutte confuse où tant d’intérêts opposés sont aux prises, où combattent ensemble les chrétiens et les païens, les Européens et les Asiatiques, les Romains et les barbares, chacun a la part d’éloge ou de blâme qui lui revient. Je sais gré surtout à M. Thierry de la sympathie qu’il témoigne pour les vaincus. Il est d’usage