Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contingent annuel entraîna peu de monde. L’opposition concentra ses efforts sur les titres IV et VI; c’était, disait-on, la révolution incarnée dans l’armée, le pouvoir royal anéanti, un plan de conspiration permanente contre le trône. Cependant l’appui sincère que le roi, M. de Richelieu et les autres ministres donnèrent au maréchal assura le succès, et, malgré le vif mécontentement que le projet de loi causait aux chefs des armées alliées, il fut adopté à peu près dans les termes proposés par Saint-Cyr. Peu de jours après, les troupes étrangères repassaient les frontières, et la facilité avec laquelle s’exécuta l’appel des premiers contingens imposa silence aux critiques. La France délivrée avait retrouvé son armée, et l’armée avait sa charte.

Pour obtenir ce grand résultat, Saint-Cyr avait dû faire un sacrifice. Selon lui, le privilège ne devait pas reparaître, même atténué ou déguisé, dans notre armée constitutionnelle; il lui fallut transiger sur ce point. La vieille garde, qu’il eût été si désirable de pouvoir conserver, ayant cessé d’exister, il ne croyait pas qu’il y eût lieu de la rétablir; surtout il pensait qu’un nombreux corps d’élite causerait à la guerre beaucoup d’embarras, faiblement compensés par quelques avantages, et que pendant une paix prolongée ses inconvéniens seuls subsisteraient. Tous les incidens de la révolution et des guerres de l’empire étaient restés gravés dans son esprit observateur, et il professait sur l’utilité des corps privilégiés la même opinion que la plupart des militaires français qui ont pu librement traiter cette question; mais dès les premières tentatives faites pour réorganiser l’armée les souverains alliés ou leurs ministres, croyant toujours voir reparaître le spectre redouté de nos vieilles phalanges, éprouvant ou feignant d’éprouver de vives craintes pour la solidité du trône de Louis XVIII, avaient voulu mettre un veto absolu à la législation nouvelle. Dès 1815, lors de son premier ministère, le maréchal avait dû compter avec ces résistances, que le malheur des temps ne permettait pas de tenir pour non avenues; il avait fallu aussi obtenir du roi l’abandon de la vaste maison militaire dont il s’était entouré ou laissé entourer en 1814. Saint-Cyr s’était rendu ix regret : il avait maintenu les quatre compagnies des gardes-du-corps et créé la garde royale. Elle fut composée d’environ 30,000 hommes répartis dans un régiment d’artillerie, deux divisions de cavalerie et deux d’infanterie; il y avait une brigade suisse. C’étaient de magnifiques troupes, bien encadrées, et qui assurément eussent fourni pour la guerre un excellent corps d’armée; mais elles ne purent remplir la mission politique qui leur avait été assignée : le dévouement de la brave garde royale ne sauva pas le trône des Bourbons, et la révolution de juillet s’est faite aux cris de vive la ligne!