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ne sont que femmes du monde, même avec beaucoup d’esprit, tombent dans les combinaisons factices, les banalités et les longueurs. L’auteur d’une Passion dans le grand monde s’est dit tout bas probablement qu’elle aussi elle voulait faire un roman, un vrai roman, et elle est tombée dans tous les embarras d’un sujet artificiellement compliqué. Elle est devenue prolixe faute de savoir être brève ; elle a mis son inexpérience en deux volumes. La forme même du récit, — c’est un roman par lettres, — aide à cette prolixité. Chacun s’en donne à cœur-joie selon une expression vulgaire, et la femme d’esprit qui tient la plume pour tous ces correspondans pleins de bonne volonté ne s’aperçoit pas que ce qui peut se dire quelquefois dans une conversation ne vaut pas toujours la peine d’être écrit. Après cela, on dira que de notre temps surtout il y a beaucoup d’hommes qui ressemblent à l’auteur d’une Passion dans le grand monde, qui ne savent pas être courts, et à ceci il n’y a évidemment rien à répondre.

Je n’ai point certes le dessein d’analyser cette histoire, qui a pour cadre la fin de l’empire et le commencement de la restauration. Je ne raconterai ni les amours contrariés du jeune et brillant général comte Romuald de Bauréal et de la princesse de Lispona, amours qui finissent par la mort de l’un et par l’entrée en religion de l’autre, — ni le déplorable mariage de Mme de Montilly avec le comte portugais d’Amezaga, et ce qui s’en est suivi. Je ne ferai pas défiler tous ces personnages, les Bauréal, les Bliane, les Serdobal, les Montilly, les Doria, et je m’aventurerai encore moins dans la généalogie un peu compliquée des uns ou des autres. En général on peut dire que c’est un récit passablement encombré, où l’intérêt se dissémine et s’émousse, où l’imagination s’émiette dans le verbiage, où la peinture des passions et des caractères, en tournant au drame, aboutit à une certaine fantasmagorie.

Ce n’est pas que sur ce fond un peu noir des tristes amours de Romuald et de Mme de Lispona, dans ce récit flottant et confus, il n’y ait des pages d’un intérêt presque piquant, des figures qui passent et se détachent avec un certain relief. Mme de Boigne s’entend à reproduire cette foule de sentimens contradictoires qu’éveillent dans des âmes aristocratiques les luttes, les imbroglios de l’empire en déclin et de la restauration naissante. Il y a des physionomies qu’elle décrit d’un trait juste et familier. Une des plus originales et des mieux enlevées assurément est celle de la vieille Mme Romignère. Celle-là, Mme de Boigne la connaît, elle la peint avec des réminiscences, elle y voit peut-être un idéal. C’est une Bauréal qui de chanoinesse qu’elle était est devenue la femme d’un riche financier pour relever la fortune de sa famille. C’est un vrai type. « Elle est très grande, et, malgré son âge avancé, conserve une taille charmante, mince et flexible comme dans sa jeunesse : son visage pâle est entouré de cheveux blancs argentés soigneusement arrangés. Elle est toujours vêtue de blanc, et sa toilette, sans aucune exagération ridicule, est fort élégante. Habituellement sa physionomie