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était capable de présenter l’exposé des motifs d’une loi organique de la marine, ou de soutenir la discussion d’un budget. S’il connaissait mieux Richelieu, le sénateur-duc n’oserait plus mettre en doute devant un auditoire instruit les aptitudes oratoires du cardinal-duc. On sait comment sont composés les mémoires de Richelieu : un tissu historique écrit en style boursouflé par un de ses secrétaires, dans lequel s’intercalent à la date des événemens les aperçus du cardinal sur les conceptions et les résolutions de sa politique. Là est la griffe du grand homme. Ces exposés sont des modèles de composition ordonnée, d’argumentation précise et mâle; ce sont d’admirables discours politiques; celui qui les écrivait ou les dictait et portait cette fière mine, que M. de Persigny soit tranquille, eût pu montrer sa tête au-dessus d’une tribune de sénat ou de corps législatif. Tous les grands politiques français ont eu le génie oratoire : que M. de Persigny parcoure donc des dépêches de Lyonne, de Torcy, qu’il lise dans Saint-Simon la merveilleuse délibération du conseil de Louis XIV sur le testament du roi d’Espagne; il verra si des hommes qui unissaient une telle vigueur d’idées à une telle puissance de langage eussent été de nature à n’oser élever la voix devant une assemblée, quand même elle eût été composée de ducs de notre temps. M. de Persigny ne connaît pas mieux l’histoire de l’Angleterre et des États-Unis que la nôtre. Que dire d’un observateur et d’un juge des faits contemporains qui n’hésite point à soutenir par l’exemple des États-Unis les prérogatives immenses que le pouvoir exécutif possède en France, au moment même où le président des États-Unis commence à exécuter la loi sur l’organisation des états du sud, qu’il avait voulu détourner par un veto dont le congrès n’a tenu aucun compte, au moment où les ministres du président sont obligés de comparaître, mandés comme les plus obscurs témoins, devant le comité judiciaire de la chambre des représentans? La séparation des pouvoirs est considérée, surtout aux États-Unis, comme ce sage principe de bonne économie politique qu’on appelle la division du travail; quant à la prépondérance du pouvoir politique, elle y réside, comme il convient à une démocratie libre, dans la représentation fréquemment renouvelée du pays. Le chef du pouvoir exécutif aux États-Unis ne peut même nommer ses agens aux grands emplois sans l’approbation du sénat.

L’opinion publique n’a donc point été redressée ei affermie par l’octroi de l’interpellation au corps législatif, par le sénatus-consulte et par la loi militaire; il n’est pas possible que la dernière révélation qui nous est faite, celle du projet de loi sur la presse, lui procure les satisfactions et la sécurité qui lui sont nécessaires. Là aussi les procédés mis en usage sont d’une inopportunité singulière. C’est dans une pareille loi surtout que le gouvernement aurait pu témoigner une confiance habile dans la loyauté et le bon sens du pays. Il n’y a que deux partis à prendre envers la presse: ou il faut la considérer comme un mal, la haïr et la proscrire, ou il faut se résoudre