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politique sévèrement restrictif, qu’il était nécessaire de rendre au pays une certaine spontanéité politique au moment où l’on allait parler à son âme au nom du patriotisme et lui demander d’accepter l’aggravation des charges militaires qui pèsent sur lui. Ces deux nécessités fondamentales de la situation ont paru être comprises par le gouvernement; mais jusqu’à présent il semble avoir compromis à plaisir dans les tâtonnemens de l’exécution la nature de succès qu’il importait le plus d’obtenir dans les circonstances actuelles au profit de ses résolutions, le succès moral. Le sacrifice militaire est demandé au pays, la mesure des libertés qui nous sont destinées se fait connaître peu à peu. Quelle disproportion entre ce qu’on nous demande et ce qu’on nous donne! Un tel échange eût dû être proposé avec un élan généreux, avec une confiance sympathique, par un de ces beaux mouvemens qui élèvent les facultés morales d’une nation. C’était l’occasion de replacer devant la France un idéal large, salutaire, puissant. Cette grande occasion, il faut l’avouer avec douleur, a été manquée. Il y avait sans contredit quelque chose de hardi et de grandiose dans la double pensée d’armer la nation pour la mettre à l’abri de toute déchéance au dehors et de ranimer en elle en même temps la vie publique; mais on n’a appliqué à la réalisation de cette pensée que des formules arides, un esprit de défiance étroite et de fâcheuses restrictions.

Le projet de réforme militaire est maintenant connu; il n’a frappé l’esprit public que par sa sévérité. C’est une loi mécanique d’où l’âme est absente. Il y manque deux élémens qui font la supériorité des institutions militaires prussiennes, lesquelles vont devenir celles de l’Allemagne tout entière, — la complète égalité de l’obligation du service militaire et l’économie dans l’organisation financière de l’armée. L’égalité de l’obligation n’étant point posée comme principe dominant, la durée du service dans l’armée active demeure trop longue, et l’addition du service dans la réserve, entraînant l’interdiction du mariage, aggrave les causes qui restreignent en France le développement de la population. L’exonération est conservée, et par conséquent les influences qui étaient en train d’altérer l’homogénéité de notre armée subsistent. Rien n’est prévu pour réveiller et pour exciter ces vocations qui autrefois, par les engagemens désintéressés des volontaires, apportaient un aliment si utile et si intéressant aux cadres des sous-officiers. Rien non plus n’est essayé pour rapprocher dans nos institutions de guerre l’élément civil de l’élément militaire, et cependant on peut être convaincu que c’est une loi de la civilisation moderne d’amener une telle fusion dont les conditions et les tendances se manifestent déjà chez les nations les plus vivaces, en Angleterre et en Allemagne par exemple, sans parler des États-Unis. Quel peuple cependant eût été mieux préparé que le nôtre avec ses goûts, ses traditions, son génie belliqueux, à doubler son éducation civile d’un apprentissage militaire?

La compensation des mornes sévérités de la réforme militaire devait se