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chapper aux objections, de séduire l’esprit par des sophismes et le cœur par des flatteries, de prendre ses précautions avec la conscience et avec le monde ! À demi vaincue, Mme d’Épinay allègue sa réputation. « Pauvre enfant ! répond Mlle d’Ette, tout vous étonne et vous effarouche ; mais dans ce monde on dit tout ce qu’on imagine, et on croit tout et rien de ce qu’on entend dire. Qui est-ce qui prend assez d’intérêt pour approfondir ce qui se débite ainsi à tort et à travers ? D’ailleurs ce n’est que l’inconstance d’une femme dans ses goûts, ou un mauvais choix, ou l’affiche qu’elle en fait qui peut ternir sa réputation. L’essentiel est dans le choix : on en parlera pendant huit jours, peut-être même n’en parlera-t-on point, et puis on ne pensera plus à vous, si ce n’est pour vous applaudir. » Et Mlle d’Ette donne du poids à ses paroles en citant son propre exemple. Voilà une situation intelligible, une conseillère redoutable, des caractères humains et vrais.

Ne cherchez rien de pareil dans la pièce de M. Barrière. Il lui fallait une histoire d’un goût plus relevé, des figures plus marquées et plus actuelles : il est allé prendre dans la cohue de Trouville deux femmes invraisemblables, méchantes sans raison, sans élégance et sans esprit, faisant parade à tout propos d’une dépravation qui ne s’explique pas. De telles femmes ne sont pas sans doute d’un exemple bien dangereux. En faisant métier de corrompre les autres, ont-elles du moins un motif qui puisse se concevoir, le goût de l’intrigue, le plaisir de faire école et d’avoir des élèves pour les admirer, le besoin de venger sur l’innocence des autres leur honnêteté et leur bonheur perdus ? Pas le moins du monde. Ces deux Méphistophélès en jupon, que l’embrouillement de leurs affaires devrait occuper assez, agissent par pur amour de l’art, sans mobile admissible et sans prétexte. Tout leur est bon, jusqu’aux servantes d’auberge, dont elles passent en revue les mains et les dents pour calculer leurs chances de succès dans le monde. On les voit s’acharner à perdre une jeune femme par les moyens les plus propres à la mettre en défiance. Imaginez-vous par hasard qu’elles se feront insinuantes pour dissiper les ombrages d’une vertu timide, qu’elles affecteront une réserve indispensable ou du moins les dehors d’un intérêt sincère, qu’elles s’attacheront à conquérir la confiance des amans à qui elles tendent leurs pièges ? Au contraire. Sèches, dures, cyniques, elles ont des propos rebutans, des allures folles, les façons et le ton de la plus mauvaise compagnie, tout ce qu’il faut pour avertir les moins perspicaces. Elles parlent, agissent et se conduisent comme des ilotes ivres, capables d’ôter l’envie de boire aux plus altérées. Aussi on ne voit pas comment elles arriveraient par ces procédés à leur but, si elles ne finissaient par tendre à la vertu qu’elles persécutent le plus absurde des guet-apens.

À quelle catégorie sociale ces deux femmes appartiennent-elles ? Nous serions, à les voir, bien embarrassé de le dire. Elles sont brillamment entourées, elles mènent grand train, elles sont riches et mariées : l’une est la femme d’un financier qui est un sot et qu’elle traite comme un do-