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était de prêcher à tout venant et de jeter à la tête des coquins de tout acabit des vérités fort inutiles. Nous applaudissions tout; il eût été difficile de dire ce que nous prenions le plus en gré, des tableaux risqués qu’on nous mettait sous les yeux ou des sermons qui en étaient le correctif. Pour nous donner contentement, ce fut parmi les auteurs à qui hasarderait les scènes les plus scabreuses, et trouverait les mots les plus forts pour en flétrir l’ignominie; on ne savait qu’admirer le plus en eux de l’exactitude d’une reproduction si attentive ou de la véhémence de protestations si convaincues. On peut rendre cette justice à M. Théodore Barrière, qu’il n’a été dépassé dans cette double voie par personne. Aussi, pour s’être toujours maintenu d’un degré au-dessus de la charge, il a passé pour un homme fort, qui ne ménageait rien, que rien n’arrêtait quand il s’agissait de déchirer tous les voiles et de démasquer les corruptions de son temps. Tout récemment le public s’est aperçu que ces corruptions ne portent pas de masque, et que c’est bien assez de les voir s’étaler à nu dans la rue sans les retrouver encore sur la scène. Ne plus s’intéresser au théâtre à ce qui le dégoûte dans la réalité, c’est de la part du public un premier pas dans la voie d’une répression plus efficace que tous les sermons du monde. M. Barrière l’a cette fois appris à ses dépens.

La comédie de M. Barrière s’appelle les Brebis galeuses, titre qui n’est pas à la vérité des plus gracieux sur une affiche, mais où l’auteur a mis sa franchise ordinaire, et qui est bien fait pour piquer la curiosité. Au surplus, l’idée qu’il renferme est tout ce qu’il y a de vrai dans la pièce. C’est en effet une inclination naturelle aux femmes qui ont failli d’aplanir le chemin du mal à celles qui n’y sont pas encore entrées. Le vice a son orgueil qui le pousse quelquefois au prosélytisme; il a aussi ses amertumes dont les femmes coupables peuvent aimer à se venger sur le bonheur des femmes honnêtes, afin de pouvoir leur dire : « Vous voilà maintenant tout comme nous. » Il faut l’avouer pourtant, les femmes vraiment dangereuses, celles qui emploient le plus habilement leur expérience en mauvais conseils et en pièges tendus à la vertu des autres, obéissent presque toujours à un mobile moins infernal. Si elles sont vieilles, c’est tout simplement le plaisir de recevoir des confidences, de nouer des intrigues, de favoriser des joies dont elles sont sevrées; on a dit avec raison que le châtiment des femmes qui ont trop aimé l’amour est de l’aimer toujours; plutôt que de s’en passer tout à fait, elles l’aiment jusque dans les autres; elles se plaisent à ce spectacle comme un ministre en retraite se plaît encore aux jeux de la politique. Si elles sont jeunes, on les voit, toutes fières de leur expérience, s’empresser de guider les autres dans la voie périlleuse; elles sont charmées de leur apprendre que la faute a ses compensations. Qui ne se rappelle, dans les mémoires de Mme d’Épinay, ses conversations avec Mlle d’Ette, la jolie Flamande, les consolations et les conseils qu’elle en reçoit, ses longues résistances et sa défaite? Quel art de tourner les difficultés, d’apaiser les scrupules, d’é-