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tutionnels étaient peu favorables au rétablissement de l’armée permanente; ils la regardaient comme une entrave au développement des libertés publiques. Enfin, dans la masse de la nation, une profonde antipathie pour la conscription se conciliait avec un regret platonique de l’homme légendaire qui avait fait de la conscription un abus si fatal au pays.

Les difficultés de cette situation complexe étaient de nature à jeter le découragement dans plus d’un vaillant cœur; elles n’arrêtèrent pas Gouvion Saint-Cyr. Austère dans tous les temps, libéral sous l’empire et à ce titre peu goûté de Napoléon, qui avait toujours jugé sévèrement les travers de son humeur, il pouvait, sans rien désavouer, professer des opinions constitutionnelles, rappeler avec quelque fierté de glorieux souvenirs, et témoigner sans trop de réticence sa vive sympathie pour les anciens militaires. Le mouvement de 1792 l’avait lancé dans la carrière des armes à un âge où, en général, l’on ne songe plus à y entrer (à vingt-huit ans), et il s’était distingué tout de suite par un rare mélange de fermeté et d’ardeur, par son esprit lucide, mesuré et inventif. Ce sont les mêmes qualités qu’il apporta dans le maniement des affaires. Habitué à peser froidement et résolument les chances du combat, il aborda les obstacles qui l’entouraient avec le courage calme et clairvoyant qui l’animait sur le champ de bataille; il manœuvra sur ce terrain nouveau avec l’habileté et la méthode qui faisaient dire jadis aux soldats de l’armée du Rhin : « Voilà Saint-Cyr en train de jouer aux échecs avec les Autrichiens... » Unissant l’intelligence des sociétés modernes à une grande expérience fortifiée par la méditation et l’étude, il prépara la loi de 1818, a qu’on pourrait dire inspirée par le génie de la France, comme le fut par un dieu, si l’on en croit Végèce, l’institution de la légion romaine[1]. » Il la fit adopter au roi, et la présenta aux chambres. « Spectacle unique dans l’histoire du monde, s’écriait-il, que celui d’un gouvernement national et libre discutant sa force et son système militaire en présence des armées de l’Europe qui résident encore sur son territoire! »

C’était en effet tout un système que la loi Saint-Cyr; elle déterminait le mode de recrutement, l’effectif de l’armée, la composition de la réserve nationale, les règles de l’avancement. Ce mode de légiférer dans un seul acte sur des sujets divers n’était pas sans inconvénient. Toutes les parties ne purent être traitées avec la clarté, la précision désirables, et ces imperfections nuisirent à l’efficacité de certaines dispositions; mais dans les circonstances ce procédé avait l’avantage de faire vider promptement des questions

  1. Discours du général Ricard, 1824.