Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pêches, on en fabrique jour et nuit ; on manipule sans repos ni trêve ; le tac-tac de l’appareil Morse, le ronflement de l’appareil Hughes ne s’arrêtent jamais. C’est le palais de l’électricité ; il mérite d’être visité en détail.

La cour est froide et nue, plus longue que large, bordée de hauts murs en pierres de taille semblables à ceux d’une caserne, terminée au fond par la tourelle tétragone d’où jadis partaient les signaux aériens. Cette vieille forteresse de la télégraphie est bien déchue de sa splendeur ; elle fait involontairement penser à ces donjons du moyen âge auxquels on a mis des ailes et qui sont devenus des moulins. On a enlevé les machines de Chappe, qui faisaient des gestes aux quatre points cardinaux ; on a supprimé les longues-vues qui fouillaient l’horizon ; les employés ne gravissent plus en maugréant les deux cents marches de l’escalier, et dans le poste où aboutissaient toutes les nouvelles de la France et du monde on a empilé des cartons, de vieux registres, des liasses de papier. La logette centrale est devenue un grenier.

La tourelle seule donne quelque originalité à cette triste cour, qui ressemble à celle de tous les ministères. Des tilburys attelés, partant de dix minutes en dix minutes, attendent les dépêches. Une porte donne entrée dans une grande salle où sur de larges tables sont posées les piles qui fournissent la quantité d’électricité nécessaire au service. Il y a là environ six mille élémens Marié-Davy[1] qu’on entretient avec un soin méticuleux, sur lesquels un employé veille sans cesse et qu’on renouvelle en moyenne une fois par an. À ces piles communiquent les cent soixante fils qui partent du bureau central, et traversent souterrainement Paris en s’appliquant aux murs des égouts et des catacombes, en se dissimulant dans des canaux spécialement creusés pour les recevoir. Parfois on en réunit plusieurs dans une même chemise après avoir eu soin de les envelopper séparément de gutta-percha, afin de les isoler les uns des autres. Il y aurait une belle fortune à faire pour l’inventeur qui trouverait une nouvelle matière isolante appropriable à la télégraphie. En effet, si la gutta-percha est bonne et solide lorsqu’elle est enfermée dans des conduits de fonte enterrés qui la maintiennent sévèrement hors du contact de l’air extérieur, elle devient promptement insuffisante lorsqu’elle est exposée aux variations de l’atmosphère ; elle se résinifie, elle se fendille, et ouvre ainsi à l’électricité mille petits chemins dont celle-ci profite

  1. La pile Marié-Davy est à sulfate de mercure ; elle a été récemment adoptée par l’administration française des télégraphes, qui auparavant employait la pile Daniell à sulfate de cuivre.