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été le centre de son administration; mais cette dernière s’étendait, devenait considérable, faisait concevoir les espérances d’agrandissement qu’elle a réalisées : on lui chercha en conséquence un local convenable, et on l’installa (nivôse an III) à l’ancien hôtel Villeroy, rue de l’Université n° 9. La direction des télégraphes y demeura jusqu’au jour où elle fut réunie au ministère de l’intérieur; la rue Neuve de l’Université a été ouverte sur l’emplacement qu’elle occupait. La télégraphie aérienne, uniquement due à la découverte de Claude Chappe, à l’initiative intelligente de Romme, de Lakanal et de Carnot, devait recevoir de chaque gouvernement successif le développement qu’elle comportait; mais il ne fut point donné à l’inventeur d’y apporter son concours et d’en jouir. Il avait vu tomber la république et naître l’empire; il était demeuré immuable à son poste, dirigeant l’administration dont il était le créateur. Tant de fatigues, tant de luttes l’avaient épuisé; devenu hypocondriaque, atteint d’une maladie insupportablement douloureuse (un cancer dans l’oreille), il se sentit si découragé, si vaincu qu’il demanda à la mort la fin de ses souffrances. Ce n’était pas l’heure pour lui cependant, car la ligne de Paris à Milan par Lyon et Turin allait être mise en activité. Le 23 janvier 1805 au matin, on le chercha vainement dans ses bureaux; on ne le découvrit que plus tard, dans la journée, au fond d’un puits qui alimentait le jardin de l’hôtel; avant de s’y précipiter, il s’était coupé la gorge avec un rasoir.

L’importance du télégraphe était trop connue pour qu’on n’en étendît pas l’usage. Les frères de Chappe recueillirent son héritage et continuèrent à diriger l’administration qu’il avait créée. L’empire, la restauration, le gouvernement de juillet, augmentèrent les lignes et les poussèrent jusqu’à nos frontières. Le siège de l’administration était toujours situé rue de l’Université, dans un hôtel d’un accès facile et qui aisément pouvait être enlevé d’un coup de main. C’était là une vive préoccupation pour le gouvernement. A cette époque,. les émeutes n’étaient point rares à Paris; tout y servait de prétexte, les revues, les enterremens, les changemens de ministère, les discussions des chambres; le pays vivait et affirmait sa vie d’une façon parfois un peu bruyante. Dès qu’on avait cassé quelques réverbères ou entonné la Marseillaise, le pouvoir, ainsi qu’on disait alors, pensait aux télégraphes, et l’hôtel Villeroy était envahi par la troupe, qui en cernait l’enceinte, remplissait les cours et bloquait la place de façon à la rendre inaccessible aux émeutiers. Les employés, gardés comme des prisonniers d’état, ne pouvant sortir, couchant dans leurs bureaux, nourris on ne sait comme, ne recouvraient la liberté que lorsque l’ordre était rétabli. Il n’était point facile de les intimider cependant : au mois de juillet 1830, le