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aux employés; on pourra s’en rendre compte lorsque nous aurons dit qu’une dépêche de quarante mots expédiée de Paris à Bayonne traversait cent onze stations et exigeait un total de quarante-quatre mille quatre cents mouvemens.

Chaque poste intermédiaire avait deux employés qui se relayaient tous les jours à midi; il fallait avoir sans cesse l’œil aux lunettes pour surveiller les télégraphes voisins, reproduire les signaux, s’assurer qu’ils étaient répétés par la station correspondante et les inscrire sur un registre afin qu’on pût les vérifier plus tard en cas d’erreur dans la transmission. Parfois, lorsqu’on était en train de signaler une dépêche indiquée grande activité, on était obligé de s’interrompre tout à coup pour faire passer une dépêche indiquée grande urgence; quand elle était terminée, on reprenait la première. Les préposés ignoraient absolument la valeur des signes qu’ils employaient. Le directeur à Paris, les inspecteurs en province en avaient seuls connaissance; ils les traduisaient en langage vulgaire et adressaient par estafette leur dépêche cachetée à qui de droit. Dans les premiers temps surtout, les employés faisaient bien des maladresses; on a calculé qu’il fallait environ huit mois d’exercice pour former un stationnaire habile; l’inexpérience a causé bien des erreurs et bien des retards, mais les plus considérables étaient dus aux conditions mêmes de l’atmosphère. Nous nous rappelons tous le rôle que la nuit et le brouillard jouaient dans l’interruption des dépêches. Le langage de la télégraphie aérienne a gardé jusqu’au dernier jour une trace vivante de l’époque qui l’a vue naître; au lieu de brouillard, on signalait brumaire. Dans les grandes chaleurs, par ces temps énervans et lourds qui laissent au ciel toute sa pureté, mais nous alanguissent sous le souffle du sirocco, les communications télégraphiques étaient impossibles. Les ondulations miroitantes de l’atmosphère, surtout pour les stations placées près des lieux marécageux, décomposaient, pour ainsi dire, les gestes de l’appareil, les rendaient illisibles et les perdaient dans une sorte d’éblouissement analogue à celui que produit le dégagement du gaz carbonique. Ces jours-là, il n’y avait rien à faire; les employés se croisaient les bras, et le télégraphe faisait comme eux. Toutes ces influences atmosphériques apportaient une telle perturbation dans le service que Chappe-Chaumont a pu écrire : « J’ai calculé que, sur 8,760 heures qui composent l’année, il y a au plus 2,190 heures pendant lesquelles on puisse communiquer avec le télégraphe aérien[1]. »

Pendant les premiers temps, la maison habitée par Chappe avait

  1. Histoire de la Télégraphie, introduction.