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l’éducation d’un stationnaire, il commençait celle d’un autre; ce travail ne lui laissait ni repos ni trêve. Malgré tout, la construction de la ligne avançait. En mars 1794 (ventôse an II), elle était presque terminée; en prairial, on éleva sur le Louvre même un télégraphe qui, correspondant avec le poste de Montmartre, était visible pour Chappe, dont les bureaux étaient établis sur le quai Voltaire, au coin de la rue du Bac, dans la maison qu’il habitait. La dernière station était la tour de Sainte-Catherine à Lille; les deux extrémités étaient sur le point de communiquer entre elles, et le télégraphe allait bientôt faire parler de lui.

Le 13 fructidor an II, au milieu d’une séance de la convention, où Lecointe, Vadier, Tallien, Bourdon de l’Oise, ne se ménagèrent pas les épithètes, pendant que Merlin de Thionville présidait, Carnot parut à la tribune. « Voici, dit-il, le rapport du télégraphe qui nous arrive à l’instant : Condé est restitué à la république; reddition avoir eu lieu ce matin à six heures. » L’assemblée se lève, applaudit et crie : Vive la république ! — Gossuin : « Depuis trois jours, on nous occupe de calomnies atroces et de diatribes dont, j’espère, il sera fait justice aujourd’hui. Condé est rendu à la république, changeons le nom qu’il portait en celui de Nord-Libre. » Cette proposition est décrétée sur-le-champ. — Cambon : « Je demande que ce décret soit envoyé à Nord-Libre par la voie du télégraphe. » Cette proposition est adoptée. Vers la fin de la séance, le président lut la lettre suivante, que Claude Chappe venait de lui adresser : « Je t’annonce que les décrets de la convention nationale qui annoncent le changement du nom de Condé en celui de Nord-Libre et celui qui déclare que l’armée du Nord ne cesse de bien mériter de la patrie sont transmis. J’en ai reçu le signal par le télégraphe. J’ai chargé mon préposé à Lille de faire passer ces décrets à Nord-Libre par un courrier extraordinaire. » Si l’on se reporte à l’époque où ces faits sans précédons se produisaient, on comprendra facilement quel enthousiasme ils excitèrent en France et quelle curiosité jalouse ils firent naître dans l’Europe entière.

Comme toutes les œuvres de génie, l’appareil qui venait de donner une telle preuve de sa rapidité et de sa puissance était d’une simplicité extrême. Il se composait de trois pièces : la première, nommée régulateur, était un rectangle allongé de treize pouces de largeur sur quatorze pieds de long. Au centre, il était traversé par un axe sur lequel il pouvait facilement se mouvoir. A chaque extrémité du régulateur était fixée une autre pièce mobile longue de six pieds qu’on appelait indicateur. Ces trois pièces composaient la partie visible du télégraphe. Les indicateurs, terminés par une queue de fer alourdie d’un plomb qui leur servait de