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Pendant de longs mois, il ne fut plus question de l’invention nouvelle ; Chappe fatiguait les bureaux et les comités de ses démarches inutiles. Ce fut pendant une de ces audiences qui bien souvent désespéraient l’inventeur que sa machine reçut son baptême définitif. Miot de Mélito raconte[1] que Chappe vint le voir au ministère de la guerre et lui donna de minutieux détails sur son appareil, qu’il nommait alors le tachygraphe (ταχύ-γράφειν, écrire promptement). Miot lui dit tout de suite que la dénomination était mauvaise, et qu’il devait la changer en celle de télégraphe (τῆλε-γράφειν, écrire de loin). Chappe fut frappé de la justesse de l’observation et adopta l’appellation, qui depuis ce temps a prévalu. C’était beaucoup d’avoir trouvé un nom composé qui renfermait une définition exacte, mais ce n’était pas tout ; il fallait faire sortir le projet des cartons où il demeurait enfoui, et il y serait peut-être resté longtemps encore, si l’actif et enthousiaste Romme ne l’y avait découvert. Nous avons dit plus haut à travers quelles graves circonstances il obtint de la convention nationale que 6, 000 livres seraient employées à faire des essais sérieux, et qu’une commission serait nommée pour les suivre.

Les commissaires choisis dans le comité de l’instruction publique furent Arbogaste, Daunou et Lakanal. Les deux premiers étaient au moins indifférens sinon hostiles aux tentatives de Chappe, dont ils ne comprenaient pas toute la portée. Il n’en était heureusement pas ainsi de Lakanal ; cet homme de bien, amoureux de tout ce qui pouvait faire la gloire de la France, ne fut pas long à se rendre compte des résultats exceptionnels que l’invention de Claude Chappe pouvait obtenir. Dès lors il se voua aux télégraphes sans réserve, stimula vivement l’apathie de ses collègues, fit pousser avec vigueur les travaux entrepris, convainquit Cambon, qui ne voyait là qu’une nouvelle source de dépenses pour l’état épuisé, et de haute lutte autant que par persuasion il finit par mener l’œuvre à bonne fin. Chappe sentit bien qu’il devait tout à Lakanal ; dans sa correspondance avec celui que la restauration devait chasser de l’Institut, il y a des mots touchans qui peignent au vif sa gratitude. « Grâces vous soient rendues mille fois ! Vous avez triomphé de tous les obstacles ; que dis-je ? vous les avez transformés en moyens ; me voilà pleinement satisfait. »

Le moment définitif était venu ; le 12 juillet 1793, une expérience solennelle eut lieu en présence de Daunou, d’Arbogaste, de Lakanal et de personnages éminens appartenant à la politique, aux sciences et aux arts. La ligne d’opération partant de Ménilmontant, aboutis-

  1. Mémoires, t. Ier, p. 38.