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tère; il renonce à tous les atermoiemens; son habileté s’efface dans une fureur qu’il ne cherche même pas à déguiser. A ses adversaires il dit : Vous en avez menti! aux girondins : Vous êtes des scélérats! A travers les interruptions, les applaudissemens, les cris, Danton continuait, et il jette enfin la déclaration de guerre qui devait faire couler tant de sang : « Je vois qu’il n’est plus de trêve entre la montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran et les lâches qui, en voulant le sauver, nous ont calomniés dans la France.» Tous les membres de la gauche se levèrent en s’écriant : « Nous sauverons la patrie! » Danton poursuivit son discours; il ressemblait plutôt à un Hercule écrasant ses ennemis qu’à un orateur cherchant à convaincre des dissidens. La dernière phrase qu’il prononça en quittant la tribune est curieuse et peint admirablement la rhétorique ambitieuse de cette époque, où tout devait être excessif, la parole aussi bien que les actes. « Je me suis retranché dans la citadelle de la raison, s’écria-t-il, j’en sortirai avec le canon de la vérité, et je pulvériserai les scélérats qui ont voulu m’accuser! »

Lentement, difficilement le calme se rétablit, et malgré les émotions poignantes qui venaient d’agiter la convention la séance ne fut pas levée. Un homme grave et froid parut à la tribune. Sans doute à cette assemblée toute frémissante encore il venait parler de trahison, de projets liberticides, de Pitt, de Cobourg, de Brunswick? Non pas, il venait lui demander un maigre subside pour essayer une invention nouvelle. Romme, car c’était lui, parlant au nom des comités réunis de l’instruction publique et de la guerre, fut écouté religieusement, comme s’il se fût adressé à une société de savans paisibles et non à des députés enfiévrés par des discussions qui devaient conduire à la mort. « Le citoyen Chappe, dit-il, offre un moyen ingénieux d’écrire en l’air en y déployant des caractères très peu nombreux, simples comme la ligne droite dont ils se composent, très distincts entre eux, d’une exécution rapide et sensibles à de grandes distances. » Sans donner une plus ample description de l’appareil, Romme en démontre l’utilité surtout en temps de guerre; mais il demande qu’avant de l’adopter définitivement on en fasse un essai authentique qui prouvera si l’on peut avoir confiance dans les résultats de l’invention. En conséquence il présentait à la convention un décret autorisant l’essai du procédé du citoyen Chappe; il y était dit : « Le comité d’instruction publique nommera deux de ses membres pour en faire les opérations. Pour les frais de cet essai, il sera pris une somme de 6,000 livres sur les fonds libres de la guerre. » — Le télégraphe venait de prendre rang parmi les inventions modernes, et allait entrer dans les usages de la vie publique.