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blique doit prévoir cette éventualité, et, le cas échéant, ne pas s’en inquiéter outre mesure. Le maintien du statu quo dépend, pour une large part, de l’attitude ultérieure que prendront les Annamites, du soin qu’ils mettront à refuser tout appui matériel ou moral aux tentatives d’insubordination. Tant que la France ne cherchera pas à sortir des limites naturelles que lui tracent dans le bassin du Mékong les conditions géographiques comme les traditions historiques, il sera encore permis de croire qu’elle ne fait qu’obéir au besoin de mieux protéger les intérêts auxquels sa première installation à Saigon a eu pour objet de satisfaire, et qu’elle ne cède pas à une ardeur irréfléchie de conquête, engageant sans nécessité et sans mesure les ressources et la politique du pays.

Aujourd’hui les premières difficultés sont vaincues, les plus grandes dépenses sont faites, la question du maintien de l’occupation a été tranchée : il ne reste donc qu’à poursuivre, sans le compliquer hors de propos, un plan bien arrêté ; le développement commercial d’une colonie, la plus riche de toutes celles que la France possède encore, la seule qui semble promettre des profits assurés, mérite bien quelques efforts et quelques sacrifices au milieu même de soucis plus voisins. Manquer de l’énergie nécessaire pour achever une entreprise qui se présente sous l’aspect le plus favorable, ne pas savoir réussir, soit par précipitation, manque de réflexion et amour-propre, soit par dénigrement et par lassitude, tandis qu’à nos côtés d’autres peuples européens, nos inférieurs en puissance et en moyens d’action, ont obtenu de si beaux résultats, ce serait donner raison à ceux qui accusent la nation française de trop de légèreté et d’imprévoyance pour conduire jusqu’au bout toute œuvre dont le succès dépend de la patience et de la ténacité.


P. DUCHESNE DE BELLECOURT.