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guillon de l’intérêt personnel, ne pourrait-il pas faire quelque emprunt à un système auquel Java doit une prospérité inouie dans les fastes coloniaux? L’état ne pourrait-il point se charger de l’achat de certaines récoltes, coton, soie, indigo, à un prix déterminé et payable à époque fixe, dans le cas où le travailleur ne trouverait pas ailleurs un prix plus rémunérateur? Ce n’est qu’avec hésitation que j’avance ici une opinion si contraire aux doctrines économiques les mieux consacrées, en provoquant l’état à se faire commerçant; mais faut-il affirmer avec certitude que les théories dont ne saurait s’écarter l’Europe du XIXe siècle doivent être maintenues avec autant de rigueur vis-à-vis de populations telles que les Cambodgiens et les Malais, qui au dégoût du travail joignent une ignorance complète des lois les plus élémentaires du crédit et du commerce, qui ne consentent à sortir de leur apathie qu’en voyant en quelque sorte à l’avance l’argent qui doit payer leur plus mince effort? Si l’on s’en rapporte aux résultats acquis, un système qui a si complètement réussi à Java, qui a notablement augmenté le bien-être de chaque indigène et la prospérité de l’ensemble du pays, qui attache par l’attrait du gain le Javanais à ses maîtres européens, et qui fournit à la métropole un revenu considérable en enrichissant la colonie, mérite d’être soigneusement étudié.

Quoi qu’il en soit, après le traité de 1862 la France, pour donner à ses établissemens un complément nécessaire, et procurer à son commerce des facilités analogues à celles dont le commerce anglais dispose en Birmanie, avait, ce semble, le choix entre les deux partis qui ont été indiqués plus haut : ou bien s’étendre à l’ouest jusqu’au golfe de Siam en prenant possession de toutes les embouchures du Mékong, ou bien s’assurer au nord la position de Namvang avec le cours entier du bras est. Diverses raisons l’ont conduite à adopter ce dernier plan. Il semble dès lors qu’avant de songer à de nouveaux agrandissemens, elle doit se préoccuper de tirer tout le fruit possible de ce qu’elle a déjà acquis.

Le maintien de la domination annamite sur les frontières de l’ouest laisse, il est vrai, aux mandarins de Hué plus de facilité pour entretenir le désaccord entre les indigènes et l’administration européenne; mais leur hostilité aura d’autant moins d’effet auprès d’une population peu attachée au fond à ses anciens maîtres que la France satisfera plus aux intérêts individuels, et, connaissant mieux le pays, évitera d’en blesser les sentimens. D’ailleurs est-il impossible de s’entendre avec le gouvernement annamite, et n’y trouverait-on pas un immense avantage? Dans la solution des questions relatives à la Cochinchine, il ne faut jamais perdre de vue que la conquête française a eu pour motif et pour but le désir d’étendre